Il y a un mois, Bruno Podalydès est venu aux Carmes présenter en avant-première son film « La petite vadrouille ». Magcentre ce jour-là l’a rencontré et lui a posé quelques questions en compagnie de Julien Leclerc de RCF.
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Propos recueillis par Bernard Cassat
Vous embarquez le film et les spectateurs sur une péniche qui va à 5 km/h. La lenteur ne vous a pas fait peur ?
Bruno Podalydès : C’est justement le rythme des mariniers qui m’attirait, la vitesse très lente d’une péniche. En même temps, ça avance tranquillement mais sûrement, ce qui est très puissant. Une péniche, c’est invraisemblable. Je me suis dit, mon sujet même imposera un rythme.
Mais est-ce qu’on arrive à vivre à son propre rythme ?
Bruno Podalydès : C’est un luxe. Une chance. On dit que souvent prendre son temps, c’est résister. Encore faut-il en avoir les moyens. Mais c’est vrai, ne pas céder à la précipitation, j’entends surtout à la compétition, à la concurrence, qui nous opposent les uns et les autres… Si on va plus lentement, en général, on a le temps de se regarder et de s’entraider.
Alors justement l’entraide, la camaraderie, c’est la base des différents personnages. C’est difficile de créer de la camaraderie sur un écran, au niveau de l’écriture mais aussi de la distribution ?
Bruno Podalydès : Je trouve beaucoup plus dur de montrer l’amitié ou la camaraderie que l’amour au cinéma. L’amour a des codes, il suffit de faire un gros plan de gens se regardant dans les yeux et on comprend que l’amour est peut-être en train de naître. Alors que l’amitié n’a pas d’expression corporelle, à part les grosses embrassades un peu lourdes. J’ai voulu décrire, entre autres, les liens d’amitié dans l’équipe en montrant qu’ils étaient tous endettés les uns envers les autres. Ce qui est une chaîne d’amitié comme une autre. On prête à des gens qu’on aime bien. Cette relation un peu triviale entre eux fonde un groupe. Les films d’amitié ne sont pas si fréquents. La Grande illusion, par exemple… Ou La Belle équipe, de Duvivier, un film que j’aime beaucoup. Ce qui est étrange dans l’histoire de ce film, c’est qu’il a deux fins, une fin heureuse et une fin sombre. C’est un peu désappointant. Soit on reste idéaliste jusqu’au bout, soit c’est le social, le retour du pathos propre aux drames de cette époque. Du coup, le film est dans la balance. J’ai eu la chance de voir la fin heureuse en premier, et du coup ça reste ma fin personnelle. (Jeannot (Jean Gabin) ne tue pas Charlot (Charles Vanel) NDLR).
La fin de La petite vadrouille est un salut comme au théâtre. Vous abordez le cinéma avec une équipe. Est-ce qu’au moment de l’écriture du scénario, vous saviez qui allait jouer quoi ?
Bruno Podalydès : Non. Ça me ferme des portes, en fait. Je préfère imaginer un personnage. Et quand l’acteur arrive, il le contredit parfois. C’est intéressant qu’il ne soit pas complètement sur mesure. Ça apporte une dimension supplémentaire à l’écriture. Je retarde au maximum le choix des comédiens. Je veux être surpris par le casting. Comme par des décors, des costumes. Quand je tourne, je n’ai pas envie d’appliquer un programme. Au niveau des dialogues, tout est écrit, sinon ça ne marche pas. Enfin, je ne suis pas puriste non plus, il y a plein de façons d’interpréter un texte. Il y a encore du champ au tournage. Je ne fais pas de story-board, juste un découpage, je sais que la caméra sera là. Les déplacements, je les ajuste au dernier moment avec les comédiens. Suivant ce qu’ils sentent aussi.
Mais vous en êtes capitaine ?
Bruno Podalydès : Je me prends un peu pour la roue de secours. Si un comédien ne peut pas, ce qui était le cas là, alors je le remplace. Je ne m’y attendais pas. Par contre la trajectoire du personnage, je la connaissais. J’avais été témoin de mon chef op qui avait pris un stagiaire sous son aile, et je voyais bien qu’il lui apprenait tout, et qu’il s’était créé entre eux une relation quasi filiale. Il est devenu lui-même chef op. Et ça me plaisait bien de raconter ça.
L’équipe mise à contribution. Photo afbrillot
Et pour construire les personnages, les silhouettes qu’on verra à l’écran ?
Bruno Podalydès : C’est avec eux. Comme tout le monde se déguise, ça a été très rigolo. Je me souviens dès le début, avec Jean-Noël Brouté quand on faisait des essais et qu’il a mis cette casquette à la soviétique. On y a été franco dans tous ces déguisements un peu enfantins, caricaturaux, mais aussi qui questionnent la naïveté de Frank. C’est cet amusement qui va donner du sel. Il faut que le spectateur soit dans le point de vue de Franck, mais aussi complice de l’équipe. C’est joyeux. On n’est pas obligé de rester dans la vraisemblance ou la justesse. Je trouve que les comédies doivent pousser un cran plus loin que le naturel. C’est une caricature de gardien de musée, d’une gitane. Mais ce n’est pas pour se moquer. Il n’y a pas d’ironie là-dedans. C’est un hyper premier degré, même. Avec un côté opérette.
L’ingéniosité accélère le film. Vous aimez bien l’ingéniosité, l’astuce, l’artisanat au cinéma ?
Bruno Podalydès : Je trouve que face à l’adversité, le manque d’argent ou d’autres problèmes, la ruse est un peu notre roue de secours. C’est un ressort de comédie formidable, aussi. C’est comme ça que j’ai inventé cette petite main qui va chercher les billets comme une tapette, à la fois le côté bricolage, artisanal, et pas fini. Mon accessoiriste me proposait de peindre la main pour la rendre plus jolie, mais je me suis dit que c’était mieux ainsi. C’est ce qui fait les bons films, souvent. Chez Capra, chez Lubitsch.
Comme réalisateur, comment pensez-vous être perçu ?
Bruno Podalydès : J’espère être accueillant, que les gens se sentent bien. Je ne pense pas que la souffrance ou le conflit débouchent forcément sur plus de vérité. Donc j’essaye qu’il y ait une bonne entente entre les comédiens, les techniciens, que ça circule, que ça joue. On rencontre forcément des moments difficiles, dus à la fatigue ou autre. Mais si on est bien entre nous, on a une sacrée force.
Un climat de soupçon… Photo afbrillot
Vous connaissez bien vos acteurs. Est-ce qu’ils vous surprennent ?
Bruno Podalydès : Oui, toujours. C’est merveilleux. Même mon frère, que je connais particulièrement bien, il a toujours ajouté quelque chose que je n’envisageais pas, un peu contradictoire… Là par exemple, il n’a pas hésité à aller vers le type un peu mesquin, à la Louis de Funès, pingre, petit, tout content de gratter un peu d’argent. Et tous, ils ont un appétit de jouer, et vont un peu plus loin. Isabelle Candelier était très généreuse. Son costume ne lui va pas bien, les épaules tombent quand elle chante. Elle chante très bien dans la vie, mais là, elle chante très faux… Les gens qui chantent faux me fascinent. Ils me touchent comme quelqu’un qui marche mal, qui claudique ou… Il y a quelque chose de très intime qui s’exprime là.
Les chansons ? Ça vous tient à cœur de reprendre des succès passés ?
Bruno Podalydès : J’aime célébrer ce qui existe. Quand je vois qu’une chanson très belle peut tomber dans l’oubli, j’aime bien mettre l’éclairage dessus. La chanson d’Alain Barrière est vraiment très belle. Je me tiens à ça. Je me fous complètement qu’elle soit des années 60 ou 2010.
Le capitaine majestueux de la pénichette (Bruno Podalydès). Photo afbrillot
Clin d’œil aussi vers la comédie musicale, avec le café chantant ? Volontairement bref ?
Bruno Podalydès : Oui. J’avais lu une fois que la vraie dictature, ce n’était pas d’imposer aux gens de se taire, mais de les obliger à dire. Alors j’ai imaginé ce bistrot où le patron impose à ses employés de chanter.
Un élément bouscule tout, la bande de jeunes ?
Bruno Podalydès : Mon film, c’était sur l’équipage du bateau, donc je n’allais pas changer de sujet. Les jeunes du voilier sont là de manière plus métaphorique, je ne voulais pas le développer plus. Il fallait des retours de réel discrets mais présents. Et quand les jeunes cherchent leur slam au coin du feu, ils abordent tous les thèmes actuels. Covid, attentats, guerres. Ils sont une idée de fuite, d’épilogue que nous n’aurions pas.
Petite vadrouille, grande vadrouille. Quel est le lien ?
Il n’y en a pas. Je me suis dit que j’avais le droit de l’appeler La petite vadrouille, d’autant plus que j’aime beaucoup La grande. Mais je ne voudrais pas que les gens cherchent un lien. Je veux juste saluer le metteur en scène, Gérard Oury. On honore de Funès et Bourvil avec raison, mais Oury est simple, efficace, très discret dans sa mise en scène, au service des comédiens. Il les filme très bien, à la bonne distance. Ses changements de plans sont toujours justifiés, les mouvements de caméra invisibles, sans frime dans la mise en scène. J’aime beaucoup ça.