Yolande Zauberman a toujours été fascinée par les frontières, les limites. Et dans les rushs de son dernier documentaire, « M », elle a retrouvé l’image d’une transgenre dont elle se souvenait qu’elle serait venue à Tel-Aviv depuis Gaza à pied. Elle est donc repartie sur cette trace, l’appelant La Belle de Gaza. Et nous fait passer de l’autre côté de toutes les frontières habituelles.
Femme qui danse à Tel-Aviv. Photo Pyramide Distribution.
Par Bernard Cassat
Le film débute par une séquence forte, une femme aux cheveux longs en surimpression d’un feu d’artifice danse sur une chanson culte poussée à fond. Beau condensé de ce que va explorer ce travail. Des femmes belles, hyper féminisées comme souvent les trans, vont raconter leur vie incroyable dans la rue de Tel-Aviv.
Talleen Abu Hanna la première, elle qui a été élue Miss trans Israël en 2016. Yolande cadre serré son beau visage lorsqu’elle raconte, sur une question de la cinéaste, son premier orgasme en tant que femme. Et Israela, désormais « mamie trans », comme elle dit, parle aussi de son incroyable mariage avec un rabbin pendant plus de trois ans. Un rabbin sexy, précise-t-elle, très doué au lit, qui ne s’est aperçu que sa femme était née dans un corps d’homme que par un papier qu’elle avait volontairement laissé trainer !
Israela, l’ex-femme de rabbin, née garçon. Photo Pyramides Distribution
Toutes deux ont un côté lumineux que leurs sœurs de la rue n’ont pas toutes. Pour retrouver Nathalie, cette belle de Gaza du titre, Yolande les filme la nuit dans les rues de drague, au milieu des voitures qui tournent. À moitié nues, elles ont toutes des immenses perruques qu’elles ne cessent de toucher, de remettre, de faire voler comme un attribut symbolique de leur féminité chèrement acquise. Elles parlent de l’expérience de la rue, épreuve qui les fait vivre matériellement. Images de nuit, hachées, zébrées d’éclairs de lumière, tremblantes, floues parfois pour ne pas trop révéler. S’en dégage un monde de perdition, non pas morale, mais tellement difficile à supporter. Elles vendent leurs corps alors que ce corps est leur plus précieuse conquête qui leur a permis d’être enfin elles-mêmes.
On peut imaginer le danger pour ces femmes, palestiniennes pour beaucoup dans une ville israélienne, et très souvent objet de mépris. En montrant leur manière de vivre, Yolande nous pousse aussi dans nos propres limites, nos propres frontières dressées par les habitudes de genre. Elles sont belles, et pourtant on ressent d’abord une terrible détresse. Quelques séquences mettent à bas cette réaction, comme celle, extraordinaire, de la discussion entre Talleen et son père chauffeur de bus. Le visage de sa fille apparaît en reflet sur la vitre du bus, mais est rendu très présent par la lumière. Il explique son parcours en tant que père, le rejet d’abord, la crainte de la honte de la famille, puis lentement l’acceptation.
L’effroyable expérience de la rue. Photo Pyramide Distribution.
La rencontre avec Nathalie, la belle de Gaza, constitue la deuxième partie du film. Étrangement, elle dit que la photo que lui montre Yolande, c’est elle, mais non, elle revient sur ses propos, puis réaffirme. Comme si effectivement elle avait un mal fou à se définir. Elle cache son immense sourire sous un voile transparent, et devient alors à l’image une sorte de madone sublime qui reste dans son mystère. Elle parle, raconte sa vraie histoire, et on la voit avec son ami d’enfance qui jamais ne l’a abandonnée. Elle fume la chicha à travers son voile, paraît totalement en dehors de la réalité, comme une apparition, sans que jamais, d’ailleurs, on ne sache comment elle vit réellement. Comme beaucoup de ses sœurs, elle est très religieuse. L’une d’elles explique que si elle est née dans un corps d’homme alors qu’elle a toujours été femme, c’est que Dieu l’a voulu ainsi.
La Belle de Gaza. Photo Pyramide Distribution.
La belle de Gaza est plus qu’un documentaire. C’est un immense travail de cinéma qui traque toutes les limites, celles du corps, en ces femmes presque nues dans la rue. Celles de la géographie, celles du rejet familial (une des femmes raconte qu’après un passage à tabac par des hommes dans la rue, sa mère a dit qu’elle aurait préféré qu’ils la tuent !). Yolande Zauberman nous force aussi à explorer nos propres limites, nos réactions face à ces vies qui peuvent nous sembler misérables, notre peur face à cette jeune femme aux lentilles de contact « husky » et son discours qui paraît un peu dérisoire. Et c’est difficile à comprendre pour tous ceux qui sont bien dans leur genre !
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