À la veille d’un scrutin décisif pour l’avenir de notre continent, indifférence et intention de s’abstenir de voter semblent dominer en France, sur fond de rejet du « septennat de fait » d’exercice solitaire du pouvoir par Emmanuel Macron, sorte de « VGE malgré lui », jugé aussi distant, mais lui, réélu il y a deux ans par constat d’une impossible alternance au profit d’une candidate aussi incompétente qu’héritière de la tradition néofasciste.
Par Paul Bannier
Enfermés dans cette donne peu exaltante par les principaux protagonistes eux-mêmes, de débats télévisés en scénarisation d’un duel virtuel, la lassitude pourrait faire des ravages le 9 juin. Quelques bonnes raisons d’aller voter.
L’air de la guerre. « L’auberge espagnole » des bonnes raisons d’aller voter
En premier lieu, quand la mort des civils sous les décombres des bombardements, les tranchées et l’amputation des soldats font leur retour en Europe « comme en 14 », à quelques étapes du Tour de France de Strasbourg, quand notre si Proche-Orient agonise dans l’absence de solution politique à l’enterrement du processus d’Oslo, délaisser notre privilège démocratique, ce droit de choisir librement son destin, est plus que stupide : criminel.
L’un des principaux acquis des dernières décennies est la chance de découverte de la culture d’un autre pays, offerte aux jeunes par le dispositif Erasmus, mis en scène à Barcelone par le film éponyme des milliers de bébés « auberge espagnole ». Si l’on peut certes trouver ridicule le panel obèse de la trentaine de listes offert aux électeurs français, mais qui pourrait prétendre ne se sentir proche d’aucune ?
Sans doute les mêmes qui nous expliquent que la Cinquième République est trop binaire et qu’il faudrait y appliquer la proportionnelle intégrale, au risque de se retrouver avec un hémicycle émietté et soumis au chantage des partis extrêmes à l’exemple de la Knesset. Eh bien ! La proportionnelle, vous l’avez le 9 juin ! Avec un grave risque de disparition, sous le seuil des 5%, de familles politiques qui ont structuré notre vie politique, telle la droite de gouvernement ou le PCF, ou qui devraient incarner les défis sociétaux de l’avenir, tels les Verts. Pour celles et ceux qui sont attachés à ces courants de pensée, c’est le moment ou jamais, avant liquidation.
Quant aux électeurs soucieux d’ouvrir des perspectives de reconstruction et d’espoir d’alternance, c’est le moment d’utiliser votre bulletin, car les municipales de 2026 seront à la fois trop tardives et aux enjeux trop parcellaires. Enfin, pour les citoyens qui se satisfont de la majorité relative actuelle, de ses choix désormais ouvertement dans les rails de l’ancienne UDF de « Démocratie française » – libérale économiquement, conservatrice socialement, européenne – il est temps tout « en même temps », de préparer l’après-Macron et de conforter sur la scène européenne vos orientations françaises, en évitant que le Parlement européen, à l’instar de l’Italie ou des Pays-Bas, ne se dirige vers une coalition droite-extrême droite populiste.
Choisir notre Europe. Ne m’appelez plus jamais Frexit
Mais le contexte de guerre, de crise de défiance démocratique, de décrochage du niveau de vie des Européens au regard des Américains, de défi du déferlement des produits industriels chinois sur un grand marché naïvement ouvert au moins offrant social, de la nécessaire transformation du modèle agricole productiviste bâti au lendemain de 1945, de la mutation des mobilités, de l’adaptation des compétences par des formations innovantes, cela ne vous suffit pas pour vous motiver à vous déplacer, une seule fois – il n’y a qu’un tour – vers votre bureau de vote ?
Alors vous avez raison : si la démocratie vous fatigue, abstenez-vous, ou mieux encore, faites résolument le choix d’un parti dépendant financièrement et admiratif de la dictature poutinienne, habile à masquer dans la communication et l’enveloppe d’un jeune candidat le vide sidéral d’une pensée délestée – en apparence seulement – des vrais choix absurdes (quitter l’Euro, refermer les frontières, sortir de l’UE, tiens où est passée la promesse débile du « Frexit » ? Demandez aux deux tiers de Britanniques qui regrettent amèrement d’avoir pris pour argent comptant les élucubrations des illusionnistes Nigel Farage et Boris Johnson) et des relents glauques et nauséabonds de l’ancêtre indigne que l’on cache, le patriarche ancien vendeur de chants nazis. Bientôt, rassurez-vous, vous serez dispensés de tout choix démocratique.
La liberté a un prix. Un petit pas vers l’isoloir, un grand pas pour la santé de la démocratie.