Kim Biscaïno, artiste d’origine canadienne, enchante le public avec son spectacle « Terminus », où une clowne attend le bus et l’amour, mais ni l’un et l’autre, tel Godot, ne viendront jamais. Totalement jubilatoire !
Par Bernard Thinat
C’était le 23 mai à l’espace George Sand à Chécy, dans la Métropole orléanaise, devant un public enthousiaste, mais un peu maigrichon. En première partie, « Embrasse-moi », Manouchka Récoché de la Compagnie du « Grand Souk » a fait revivre ses poètes préférés, Prévert et Desnos, accompagnée à l’accordéon par Fred Ferrand, dans un récital amoureux où les mots et les accords musicaux s’entrelacent. Spectacle poétique et musical qu’on peut voir une fois, deux fois, trois fois, sans se lasser, tant on en redécouvre la beauté.
En seconde partie, Kim Biscaïno, que le public découvrait, offrait une merveille d’humour, de drôleries, dans un spectacle d’une beauté visuelle époustouflante, interprétée par une artiste dont le visage, petit nez rouge en son centre, passe sans peine du rire à la tristesse et aux larmes.
Photo Aurélie Boivin
Un arrêt de bus : la voilà qui arrive sur le plateau, un GPS lui indique le chemin, et soudainement elle découvre le public face à elle. S’ensuivront mille péripéties qui vont ravir les spectateurs. Une valise d’une main, un sac dans l’autre, chapeau, imperméable d’autrefois et baskets. Un banc pour patienter en attendant le bus.
Servant de pivot, de noyau dans le spectacle, moment émotionnel rare, elle mime « Ne me quitte pas » de Brel dont on entend la voix. Kim nous dira avoir préparé ce passage lorsqu’elle était au Conservatoire et avoir voulu le replacer dans ce spectacle. Autre moment d’une très grande beauté, tant visuellement qu’émotionnellement, lorsque des bulles descendent des cintres (larmes qui s’évaporent selon Kim), accompagnées d’un cœur de Banksy qu’elle repousse tout d’abord, avant de le prendre et de le serrer dans ses bras.
Photo Aurélie Boivin
N’ayant pas peur de franchir le « quatrième mur », elle descend du plateau, plaisante avec tel spectateur ; on la sent d’une liberté totale sur scène, là où elle a construit sa demeure, son chez-soi.
Elle attend donc le bus d’où descendra son amour perdu, questionnant le public « Qui vœux m’aimer ? », écrit ainsi, dansant parfois sur des airs de Gloria Gaynor, Missy Elliott rappeuse américaine, Janet Jackson…
Au final, ni le bus, ni l’amour, ni Godot ne viendront ! Tonnerre d’applaudissements.
Rencontre avec Kim Biscaïno
Vous êtes originaire de Vancouver, en Colombie-Britannique. Comment êtes-vous parvenue jusqu’à Orléans ?
En fait, mes parents sont français. Le Canada est un pays d’immigration, une grande majorité de la population est bilingue. Je suis allée dans une école francophone, j’ai la double nationalité, c’est un énorme cadeau. Les études au Canada sont extrêmement chères. Et je suis arrivée à Paris pour faire l’école Jacques Lecoq pour une année, école payante et je pensais retourner à Vancouver. Mais des amis m’ont conseillée d’entrer au Conservatoire, école gratuite, m’expliquant que « l’éducation est un droit en France, comme la santé ». J’ai donc fait le Conservatoire du 15ᵉ arrondissement pendant trois années. Et suite à cela, j’ai fait l’école du Théâtre National de Strasbourg.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous diriger vers le clown ? Ce n’est pas commun pour une femme.
Oh ! À une époque moins, mais il y a de plus en plus de femmes clownes, et tant mieux. J’ai toujours fait du théâtre depuis toute petite, j’aime bien faire rire, j’ai beaucoup regardé les films de Chaplin, Mr Bean, tout ce qui était très physique me fascinait beaucoup. Au lycée de Vancouver, une metteuse en scène qui travaille énormément le clown et le masque, est venue créer une pièce, j’ai travaillé avec elle et cela m’a plu. J’ai ensuite fait une école de mime corporel d’Etienne Decroux sur la décomposition du mouvement pour reconstruire. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans l’action de faire rire. On dit souvent que les clowns sont les plus grands tragédiens. Sur scène, il faut tout lâcher.
Photo Cris Noé
Comment concevez-vous le rapport entre clown et mime ?
Oui, c’est très proche. On utilise chacun des grommelots. Beaucoup d’acrobates sont très forts en mime, ils ont une vraie maîtrise de leur corps, les danseurs aussi, tous les artistes qui ont un rapport au corps. La 1ʳᵉ année à Jacques Lecoq, on n’a pas le droit à la parole, si on ne peut pas faire le monologue de Hamlet sans parler, ce n’est pas la peine de le lire. Dans les pays anglo-saxons, on est plus relié au corps, un peu moins cérébral, il faut trouver le juste milieu. J’essaie d’apporter mes atouts basés sur la corporalité, le mime, le clown.
Comment s’est construit « Terminus » ?
Avec Brice Cousin, le metteur en scène, j’ai apporté plein de morceaux d’un puzzle, je ne savais pas comment les structurer, j’avais besoin d’un regard extérieur, on a vraiment créé à deux, cela a été un long chemin. À la base, je ne voulais pas de nez rouge. Puis on l’a remis, ce petit masque donne une liberté, presque une permission d’aller dans des endroits inconnus.
Vous avez joué « Terminus » au Canada ?
Pas encore… j’aimerais tellement !