Vaiju Naravane est née sur la côte ouest de l’Inde, à côté de Bombay. Correspondante pour de grands quotidiens indiens, elle a couvert la guerre des Balkans pendant la décennie 1990. Universitaire, éditrice, elle s’est également fait connaître en tant que chroniqueuse sur France Culture et sur Arte, en un itinéraire qui a eu l’éducation pour moteur.
Vaiju Naravane ©DR
Par Izabel Tognarelli
Écouter Vaiju Naravane, c’est partir en voyage ; un voyage qui commence sur la côte ouest de l’Inde, près de Bombay, là où elle est née ; un voyage qui se poursuit au pied de la chaîne himalayenne, dans l’une des onze écoles et trois universités que les innombrables mutations professionnelles de son père l’ont amenée à fréquenter ; pour finalement la mener en Europe, où elle a trouvé sa place. Depuis les années 80, Vaiju Naravane s’est fait un nom, un visage et une voix, d’abord comme correspondante pour The Times of India, puis pour The Hindu, grands quotidiens indiens dont la diffusion d’exemplaires au quotidien aligne un nombre à sept chiffres pour chacun ; puis comme chroniqueuse pour TV5 Monde, RFI et Cultures Monde – émission quotidienne d’actualité internationale sur France Culture –, Le Monde diplomatique et aussi dans le magazine 28 minutes, sur Arte. Ceci uniquement pour son activité de journaliste, car Vaiju Naravane a multiplié les activités professionnelles : professeur à Sciences Po Paris et à l’université d’Ashoka à New Delhi, éditrice, diplomate ; tout ceci au fil de ses rencontres, mais aussi au fil des obligations.
Un père qui l’encourage à échapper au patriarcat
Cette vie a trouvé son moteur dans l’éducation, encouragée par un père lettré, dont l’esprit progressiste et réformateur refusait l’idée de mariage arrangé : « Il faut que vous soyez financièrement indépendantes : c’est très important pour les femmes », avait-il l’habitude de dire à ses deux filles ; des idées loin d’être répandues dans une Inde étroitement encagée par le système des castes. C’est ce qui a propulsé l’une vers l’université de Washington où elle a enseigné la littérature, traduit les œuvres d’écrivains indiens et fréquenté des écrivaines comme Alice Walker et Toni Morrison, tandis que l’autre arrivait sur le versant ouest de l’Europe. Bien sûr, il y a l’épisode inénarrable de son interview de Coluche, au moment où il se présentait aux élections présidentielles de 1981 : elle en rit encore ! Mais il y a surtout la longue période de la troisième guerre balkanique, où elle a pris conscience de ce qui faisait « sa patte ».
Vaiju Naravane a adopté Montargis qui le lui rend bien – Photo Sarah Colin
Les années de guerres, en Europe centrale
À partir de 1989, avec la chute du Mur de Berlin, Vaiju Naravane a commencé à couvrir la Pologne, la Tchéquie, la Roumanie : « J’étais dans les rues, en Roumanie, le 25 décembre 1989, le jour où Ceaucescu est tombé. Deux jours avant, Jean-Louis Calderon, un journaliste français qui travaillait pour France 2, est mort écrasé par un char, dans la rue. C’était terrifiant ». Ses traits se figent et son regard se perd dans le vague à l’évocation de cet épisode.
En 1991, alors en poste à Milan, elle se rend régulièrement dans ce qui était encore la Yougoslavie. Bien sûr, les aéroports sont fermés : « Depuis l’Italie, je prenais le train qui, au départ de Milan, allait à Trieste, passait par l’Istrie et par Ljubljana pour arriver finalement à Zagreb ». Un jour à Trieste, son train est annulé, alors qu’elle doit embarquer le lendemain à Rijeka avec des réfugiés rapatriés à Dubrovnik : « C’est la guerre, Madame… ». Ainsi s’est-elle retrouvée embarquée dans un long périple au bord de la côte adriatique, dans l’espoir de rattraper, de bus en bus, ce navire qui faisait escale dans chaque ville, Zadar, Šibenik, ainsi que sur les petits îlots. Invariablement, les bus arrivaient alors que le navire venait de lever l’ancre : « J’ai pris des bus de fortune, j’ai rencontré les gens et j’ai compris que ce qui manque dans les reportages à la télévision, c’est l’odeur. Celle de la chair humaine et des munitions ; celle du brûlé et de la peur ». Ainsi a-t-elle rencontré des gens émouvants, d’autres épouvantables, notamment un sniper, à Sarajevo, qui lui a assené « Tout ce qui bouge, je le dégage », y compris les enfants, y compris les animaux « parce qu’ils étaient croates ». Pendant ce temps, à Milan, son fils alors âgé d’une dizaine d’années avait reconnu sa mère à la télévision, courbant l’échine et courant dans la Sniper alley. Une fois rapatriée par un avion de l’OTAN, après des jours d’angoisse, il lui a hurlé sa peur au téléphone.
Mais comment susciter l’intérêt pour ces guerres qui déchiraient, en Europe, des territoires minuscules au regard des échelles indiennes ? « La condition humaine est la même partout. C’est comme ça qu’on établit des ponts entre les cultures. Finalement, on explique le comportement humain. Ce n’est pas si lointain, ça nous regarde tous. Ce qui se passe à Gaza, ce qui se passe en Ukraine, ça nous regarde tous ».
Festival du cinéma indien à Montargis, les 25 et 26 mai
Vaiju Naravane a posé ses valises à Montargis : « J’arrête ma carrière de journaliste, mais c’est pour commencer autre chose ! ». À peine arrivée, cette passionnée de cinéma lance un week-end sous le signe du cinéma indien des 25 et 26 mai 2024, aux côtés des Cramés de la bobine et de l’Alticiné. Au programme, cinq films : La Saison des femmes, de Leena Yadav ; Rapture, de Dominic Sangma et Hotel Salvation, de Shubhashish Bhutiani (prix de la critique au Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul en 2017), ceci pour la journée de samedi ; puis Agra, une famille indienne, de Kanu Behl et Le monde d’Apu, de Satyajit Ray, le dimanche. Programme complet ici.
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