Jean-Paul Pollin : « La France est championne de la souffrance au travail ! »

Le 16 mai 2024, l’Université d’Orléans vous convie à une conférence sur les transformations du travail en présence de quatre spécialistes de la question. Entretien avec l’un de ses chefs d’orchestre, Jean-Paul Pollin, président de l’Académie d’Orléans.

Par Sophie Deschamps

Le travail sera examiné sous toutes les coutures ce jeudi 16 mai 2024 à l’Université d’Orléans. Une journée imaginée par l’École des Relations de travail de l’Université et l’Académie d’Orléans, Agriculture, Sciences, Belles Lettres et Arts.

Jean-Paul Pollin, c’est l’Académie d’Orléans dont vous êtes le président qui a choisi ce thème, pourquoi ?

C’est l’un des thèmes les plus importants du débat public aujourd’hui. Il faut aussi que l’on arrive à sortir des lieux communs sur le travail. Par exemple une flemmingite du travail se serait abattue sur la France depuis la covid. Et que les Français ne voudraient plus travailler, etc.

Et puis il y a la transformation des formes du travail qui bouleversent pas mal de choses, notamment le numérique qui a donné naissance au télétravail. Mais nous avons devant nous des changements encore plus importants avec l’intelligence artificielle et là on ne sait pas franchement où l’on va. Il ne s’agit pas simplement de faire faire des dissertations à ChatGPT. Il y a tout un ensemble de tâches encore pas faciles à définir aujourd’hui qui vont changer la donne. Je pense en particulier à une note de Bercy expliquant que l’IA menacerait plutôt les professions qui sont en haut de l’échelle. Car, si demain il y a un certain nombre de tâches qui peuvent être effectuées par l’IA, ça va augmenter la productivité des gens en bas de l’échelle.

Donc ce colloque, c’est pour dire que nous sommes à l’aube de changements profonds dans nos pratiques de travail ? 

Oui et pour plusieurs choses. Premièrement, le rapport des Français au travail a changé. Il est en train de perdre sa capacité de socialisation. Alors que pendant les trente glorieuses on se réalisait par son travail, ce qui lui donnait un sens. Il y avait aussi la promotion sociale qui jouait un rôle important parce qu’elle gommait certaines inégalités. Et tout cela est donc un peu délaissé aujourd’hui. On l’a vu avec la question des retraites. On constate aujourd’hui un certain détachement vis-à-vis du travail pour se replier sur des objectifs personnels alors que réussir sa vie, dans le temps, c’était avant tout avoir un bon emploi, un bon salaire et grimper dans l’échelle sociale. Et tout cela est en train de disparaître, particulièrement en France. La valeur travail se trouve dépréciée, le travail n’a plus le sens qu’il avait précédemment et il s’agit de savoir pourquoi.

Autant de sujets sur lesquels vont se pencher les quatre intervenants de cette journée, deux hommes et deux femmes. Vous nous les présentez en quelques mots ?

Oui, le premier à intervenir sera Jérôme Gautie, Professeur en sciences économiques à La Sorbonne et membre du Conseil scientifique de France Travail (ex-Pôle emploi, NDLR). Selon lui, les gens sont toujours attachés à leur emploi mais il y a une réelle souffrance au travail. Au point que le travail devient un sujet de santé publique. D’ailleurs, la France arrive en première position pour cette problématique. Jérôme Gautie a notamment travaillé sur le montage des Airbus en France et il a regardé ce que les tablettes avaient changé dans leurs façons de travailler. Or, il s’est aperçu que les salariés étaient au service des tablettes et non l’inverse. Ce qui pose la question de l’organisation du travail qui manque d’horizontalité en France. 

D’ailleurs le second intervenant, Claire Pedini, directrice générale adjointe, Ressources Humaines et RSE à Saint-Gobain viendra nous parler de l’organisation du travail, notamment dans son entreprise et dans les différents pays où elle est implantée. Elle nous expliquera ce qu’elle fait au sein de son entreprise pour rendre les conditions de travail plus participatives mais aussi pour améliorer l’égalité hommes-femmes.

L’après-midi, nous reprendrons nos discussions avec Nathalie Chusseau, professeure en sciences économiques à l’Université de Lille. Elle parlera d’éducation et comment selon elle l’Éducation Nationale devrait réagir face aux transformations du travail à la fois en formation initiale et en formation continue. Elle défendra notamment l’enseignement des fondamentaux.

Enfin, le polytechnicien Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, répondra à l’épineuse question « Faut-il travailler moins ? » Lui est contre mais nous entendrons des voix favorables. Il pointera également la baisse générale de la productivité du travail. C’est d’ailleurs selon lui à mettre en parallèle avec le fameux classement PISA où la France est à la traîne (23ᵉ du classement, NDLR) et notre région également.

À noter enfin que les pointures locales ne sont pas oubliées avec pour chaque intervention des discutant.es qui animeront le débat avec là aussi une parité parfaite :

• Frédérique Barnier, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Orléans.
  
  
• Marin de la Rochefoucault, maître de conférences en sciences de gestion toujours à l’Université d’Orléans.
  
  
• Isabelle Freundlieb, Directrice de l’ARACT Centre-Val de Loire. (Association Régionale pour l’amélioration des conditions de travail).
  
  
• Nicole Pellegrin, conseillère du recteur, Déléguée de région académique à la formation professionnelle, initiale et continue.
  
  
• Gilbert Colletaz, professeur émérite à l’Université d’Orléans – LEO
  
  
• et enfin Marc Guillaume, économiste et éditeur.
  
  

Pour aller plus loin : Que sait-on du travail ? Éditions Le Monde avec quelques chroniques consacrées au travail des femmes (octobre 2023)

Pour aller plus loin sur Magcentre : L’Université d’Orléans lance son “École des relations du travail”