Hier, comme chaque 1er mai, on a eu le droit sur les réseaux à un festival de posts pseudo-cool & bienveillants souhaitant de « bonne fête du travail » à tour de bras et de smiley. Politiques locaux, responsables de chambres consulaires du coin, chargés de communication de ministères et de quelques préfectures – dont celle d’Indre-et-Loire – ont donc tour à tour célébré le travail, le muguet, le bonheur, la chance et… les fleuristes.
Par Joséphine
On avait l’impression d’être un 8 mars il y a encore quelques années : mais si, souvenez-vous, quand il fallait expliquer à un oncle ou à un collègue un peu beauf que « non c’est pas la fête de la femme mais la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, vas-y enlève ton montage avec Monica Bellucci en nuisette de ton mur Facebook s’il te plaît ». Et bien on assiste au même phénomène pour le 1er mai, euphémisé en « fête du travail », alors qu’il est « fête des travailleurs » et « journée internationale de lutte pour les droits des travailleuses et travailleurs ».
Une date chargée d’histoire
En réalité, le 1er mai a une histoire assez ancienne. Il devient en 1890 une journée de grève et de revendications, à l’époque essentiellement centrées sur la liberté syndicale, l’extension du droit du travail, la journée de 8 heures et la semaine dite anglaise, avec un week-end de deux jours. Le 1er mai célébrait aussi les travailleurs morts lors d’une lutte pour les droits sociaux, notamment en 1886 à Chicago à la suite d’une charge de police contre des ouvriers anarchistes. D’ailleurs en France, le 1er mai 1891, à Fourmies dans le Nord, la troupe tire sur le cortège et tue dix personnes dont deux enfants. Mais le 1er mai c’est également un coup de maître de la Deuxième Internationale, structure créée sous l’impulsion de Friedrich Engels à la suite d’une réunion de socialistes du monde entier à Paris en 1889, commémorant la Révolution française et réfléchissant à une stratégie pour améliorer les conditions de travail et de rémunération des ouvriers. L’internationalisation de la célébration du 1er mai, c’est une manière de montrer la force, la conscience d’exister et la solidarité des travailleurs du monde entier quand ils savent s’organiser et utiliser leur arme fatale : la grève qui fait comprendre aux patrons et actionnaires qu’ils ne gagnent rien si personne ne se casse le dos sur la chaîne de montage.
Une journée fériée et chômée mais payée
En France, en 1919, le 1er mai est reconnu officiellement comme jour chômé par le Sénat qui vient de ratifier le passage à la journée de 8 heures. C’est en 1947-48 que le 1er mai prend sa forme actuelle, journée fériée et chômée mais payée, sur proposition d’un député socialiste soutenu par un ministre communiste, Ambroise Croizat, par ailleurs fondateur de la Sécurité sociale.
À noter qu’entre 1941 et 1944, le régime de Vichy, opposé viscéralement à toute symbolique de gauche et ayant interdit les syndicats au nom de la concorde nationale, institue pour le coup une véritable “Fête du Travail”, censée montrer la fierté professionnelle des corporations (les organisations pétainistes qui structurent le monde du travail et posent le principe de collaboration de classe développé par Mussolini en Italie) et les valeurs défendues par le régime : discipline, sens de l’effort, travail, respect des hiérarchies, don de soi, patriotisme productiviste.
Le 1er mai et la positive attitude
Bref, même s’il semble évident que la profusion de « bonne fête du Travail » entendus hier n’est pas du crypto-pétainisme, cela interroge à la fois sur la culture historique et sociale de nos élites et de leurs communicants, et sur la dépolitisation à l’œuvre pour tout ce qui concerne la question du travail. Épanouissant, challengeant, aux frontières floues avec les loisirs et la vie de famille, individualisé et individualiste, le travail semble être devenu dans certains milieux une sorte de lifestyle qu’il convient de mettre en scène sur les réseaux avec de jolis filtres, le travailleur mutant lui-même en marchandise qui doit savoir se rendre désirable sur LinkedIn afin de rester agile, mais attention, toujours avec engagement et sens, il ne s’agit pas non plus de passer pour des mercenaires du salaire. À l’inverse, le syndicalisme, la grève et le rapport de force deviennent dans les médias des vieilleries un peu ridicules et rigides, et l’on se moque de bon cœur des rustres en chasuble fluo tout en se scandalisant que les éboueurs parisiens osent poser des préavis de grève pendant le JO, risquant de gâcher la fête et ruinant l’image de la capitale auprès de touristes venus faire des selfies et claquer leurs sous aux Galeries Lafayette.
Plus cocasse pour finir, la seule préfecture qui utilise la bonne terminologie pour le 1er mai l’a fait dans le cadre d’un post prévenant de la présence de drones pour surveiller la manifestation… Même le chargé de comm’ du ministère du Travail qui partageait pourtant un post Facebook précis sur l’histoire du 1er mai, semble ne pas avoir lu les slides et ponctue le tout d’un #Fête du Travail.
Florilège :