Margarethe von Trotta, Grand Prix Jean Zay du festival Récidive 89

L’invitée d’honneur de cette troisième édition du festival Récidive 89, la réalisatrice et scénariste allemande Margarethe von Trotta, connue pour ses films comme L’honneur perdu de Catharina Blum, Rosa Luxemburg ou encore Hannah Arendt, recevait ce samedi 30 mars le Grand Prix Jean-Zay 2024 pour « l’ensemble de sa carrière et de ses engagements. »

Hélène Mouchard-Zay, Pierre Allorant, Margarethe von Trotta, Antoine De Baecque lors de la remise du Prix Jean Zay


Après l’interview de la réalisatrice publié dans Magcentre, nous reproduisons ici l’intégralité du discours prononcé par Pierre Allorant, vice-président du Cercle Jean Zay à l’occasion de la remise de ce prix 2014 au cinéma des Carmes à Orléans.

« Chère Margarethe Von Trotta,

On vous a connu en France grâce à L’Honneur perdu de Katharina Blum. Une autre Catherine, Zay, est née elle dans l’honneur retrouvé des petites gens sous le gouvernement Blum, belle illusion culturelle, pour la République. La passion du cinéma qu’a nourrie Jean Zay, bien avant septembre 1939 et les bruits de botte qui ont retardé la création du festival de Cannes, il la manifeste dans le Grenier, sa revue d’avant-garde, qui évoque Charlot.

Devenu ministre, il insiste dans une causerie de Radiophonie scolaire, sur cette heure nouvelle où « le disque, le cinéma, la radio nous proposent leur aide » pour fournir aux jeunes « tous les échos du vaste monde, le perpétuel rappel du présent et sa confrontation avec les souvenirs du passé et avec l’héritage de la culture, c’est l’exemple, l’illustration, le délassement, c’est le contact avec la vie, toute la vie ». En 1936, à l’occasion du 34e anniversaire de la mort d’Émile Zola, Jean Zay fait cette confidence sur son voyage dans la République de Weimar : « Je n’oublierai jamais l’émotion que j’eus l’occasion d’éprouver personnellement lorsqu’en septembre 1930 je vis, dans un petit cinéma berlinois de quartier, ce film allemand sur l’affaire Dreyfus que les Français n’ont point été jugés dignes de connaître. Devant un public étranger, mal préparé à cette fabuleuse histoire, mais dont le silence chargé de grandeur s’imprégnait de respect, Zola apparaissait sur l’écran comme un symbole éternel, comme un signe surhumain du courage et de l’équité. […] « Émile Zola a bu la cigüe. » En 1938, au vernissage de l’exposition « Trois Siècles d’art aux USA » du musée du Jeu de Paume, il affirme : « Vous avez consacré, à juste titre, une partie de cette exposition au cinéma […] Vous avez magnifiquement contribué aux progrès étonnants de ce septième art dont nous sommes tous aujourd’hui les adeptes. Souvent, vous avez tracé la voie. Les grandes révolutions cinématographiques ».

Cette fraternité avec la démocratie américaine est au cœur du projet Cannes 1939, ce « rendez-vous » qu’il présente comme le combat des démocraties et des artistes contre l’embrigadement totalitaire. En avril 1940 devant le Comité secret de la Chambre, Jean Zay évoque le rôle du cinéma aux armées. Dans le seul roman publié de son vivant en 1942, La Bague sans doigt, Jean Zay met en scène une jeune héroïne qui au métro Odéon voit « un grand cinéma [qui] ouvrait, comme une gueule, son hall circulaire tapissé d’affiches. Elle y pénétra et demeura patiemment, tantôt contemplant les photos de stars, tantôt arpentant le sol de mosaïque. » Dans ses nouvelles, il évoque ce loisir populaire, son rôle dans les rencontres sentimentales, y compris d’un conseiller d’État auteur d’un rapport au Conseil national économique sur le problème du crédit dans l’industrie cinématographique !

Prisonnier politique de la dictature de Vichy, Jean Zay pense toujours au cinéma : à Noël 1940, au pire moment de sa détention, « couché sur le dos, dans ma minuscule cellule qui ressemble à une boîte sans couvercle, je contemple la voûte lourde et élevée ; […] on dirait le plafond « atmosphérique » d’un cinéma parisien dernier cri ». À Riom, le « très ancien souterrain de la maison d’arrêt » lui donne « je ne sais quelle impression de conspiration à bon marché et de mauvais cinéma ». Dans Souvenirs et solitude, Jean Zay se remémore son voyage officiel en Amérique en juin 1939 : « le directeur du plus grand cinéma de New York, m’exhibant sa salle aux 8 000 places, m’avait dit : « J’ai dû retirer du programme des actualités tous les films qui montraient Hitler ou Mussolini, car le public pulvérisait mes fauteuils » Il évoque les « gens du cinéma » et la rupture opérée par Vichy : « Notre cinéma, entre autres, fut pris comme cible. Il fallait « purifier l’écran » : tous les films produits en France avant la guerre étaient attentatoires à la morale ou au patriotisme ; nos studios n’étaient que des repaires de gangsters et de métèques. […] Duvivier, Jean Renoir, Jouvet et tant d’autres ont gagné l’Amérique et n’en sont pas revenus. On découvre à Vichy qu’en 1939 le cinéma français occupait la deuxième place dans le monde », et il retrace l’ambition du projet de statut du droit d’auteur et du contrat d’édition, « charte de l’intelligence française ».

Chère Margarethe von Trotta, vous êtes notre Rosa et notre rue des Roses, vous n’êtes pas « l’autre », vous êtes l’amie, notre sœur, celle des années du Mur qui ont sorti l’Est de son trop long silence et l’Ouest des « années de plomb ». Pour tout cela, nous sommes très heureux de vous remettre, au nom de l’association des Amis de Jean Zay, le prix Jean Zay du festival Récidive 1989/2024. »

Pierre Allorant

 

Commentaires

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  1. On notera au passage la chaleureuse sobriété du décors réalisée pour cette remise de récompense.
    Je comprends mieux la vue d’avion effectuée par le photographe de la cérémonie.

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