Margarethe von Trotta, grande dame de cinéma, témoin de l’histoire allemande

Lors de la présentation de son film Rosa Luxemburg, Margarethe von Trotta a déjà précisé son intérêt pour les personnages féminins, qu’elle aborde non pas en féministe, mais en femme qui questionne d’autres femmes. Elle a bien voulu ensuite répondre à nos questions. Qui ont aussi commencé sur ce sujet.

Margarethe Von Trotta et Antoine De Baeque lors de la présentation du film Rosa Luxemburg. Photo BC


Propos recueillis par Bernard Cassat


Beaucoup de vos films sont des portraits de femmes.

Oui, presque tous. Je n’ai pas fait un seul film sur un homme. Et on me l’a reproché. Je me rappelle un ami écrivain, après mon premier film qui était l’histoire de trois femmes. Il m’a dit, oui, c’est bien, mais tu seras vraiment réalisatrice quand ton film sera sur un homme. Et ça, jusqu’à présent, je ne l’ai pas encore fait.


En plus, ce ne sont pas n’importe quelles femmes. Ce sont des femmes qui pensent. Ce choix, c’est quoi ? Lutter pour exister, se confronter à la fameuse question de résister ou d’obéir
?

Il faut résister, mais aussi se faire voir. Il faut être présent dans l’histoire et dans la tête des gens. Quand j’ai commencé le cinéma, c’étaient seulement des hommes qui faisaient des films. Juste Agnès Varda en France, qui faisait des films non en tant que femme, mais comme membre de tout un groupe, la Nouvelle Vague. Donc on ne la voyait pas d’abord comme une femme.


Vous ne réalisez pas des biopics, vous allez plus loin… Dans la présentation tout à l’heure, vous racontiez avoir lu la correspondance de Rosa Luxemburg. Ce qui vous intéresse, c’est l’intimité de la personne ?

Oui. Pas seulement l’image qu’elle donne à l’extérieur, mais il faut que j’aie un reflet vers l’intérieur. Et surtout aussi des contradictions. Je n’aime pas les personnages lisses, qui sont fixés sur une seule idée. Au fond, ça n’existe pas dans la vie, mais des personnages de cinéma sont parfois comme ça. Moi je voulais voir comment une révolutionnaire pouvait être sévère, mais aussi très sensible. Il y a une dernière scène par exemple. Elles font un journal, et elle dicte à sa secrétaire qu’il faut être dur, mais quand même, si on voit sur son chemin un pauvre insecte, il ne faut pas le tuer. Une sensibilité vers la vie, et en même temps une volonté révolutionnaire. A la fin, c’était un grand problème pour Rosa. Elle ne voulait pas tuer, mais dans la révolution, on doit tuer.


Dans les années 60-70, le terrorisme est très présent. Violence contre l’État mais aussi violence de l’État. Les deux sœurs Ensslin, deux faces de résistance par rapport à cela ?

Absolument. Sauf que l’une est impatiente, elle veut le changement de société tout de suite. C’est pour cela qu’elle intègre un groupe terroriste. L’autre, sa sœur aînée, est sur la même ligne de pensée pour changer la société, mais avec des moyens démocratiques et non-violents. Et ça, c’était le grand problème de l’Allemagne dans ces années-là. On était des gauchistes, disons pour aller vite. Et on voulait une société plus heureuse. On a appris très tard dans notre vie notre passé nazi. A l’école, personne ne nous en a parlé. Moi, la première fois que j’ai entendu parler de cette terrible histoire, j’avais 16 ou 17 ans. A l’école, on n’apprenait rien de cela, et nos parents n’en racontaient rien. Donc on vivait ce qu’on appelait les années de plomb. C’est comme une chape de plomb. Avec ce sentiment qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas… Quelque chose de terrible dans notre histoire.


Et actuellement, en Allemagne ?

C’est enseigné depuis très longtemps. Vers les années 70, on a compris beaucoup de choses. Et c’est pour ça que pour moi, la première génération de la RAF (Rote Armee Fraktion), c’était la rébellion contre les parents et contre leurs attitudes, d’abord d’avoir été nazis, et ensuite de ne rien raconter pour essayer de tout aplatir, de tout dissimuler.


Mais alors, dans ces années-là, le côté violent du terrorisme, qu’est-ce que vous en pensiez ?

En fait, il y a eu trois générations dans la RAF. La première, c’était Gudrun Ensslin et Andreas Baader. Et quand ils sont morts, il y a eu une deuxième puis une troisième génération. Et eux, ils n’étaient plus tellement liés au passé. Ce n’était pas ancré dans l’histoire, comme pour la première génération.


Depuis, on a connu d’autres terrorismes. Ils sont maintenant plutôt du côté du nationalisme ? Est-ce qu’on n’a pas à lutter contre les nouvelles tendances totalitaires ?

Oui, en Allemagne, on a quand même ce parti AFD qui est dangereux. Ils ont 20% d’opinion. Et ils n’ont rien contre le nazisme. Au contraire. Même le salut, même les croix gammées. D’où ça vient ? Je veux essayer de comprendre. Parce qu’on sait à présent ce qu’on a fait. On connait la culpabilité des Allemands. On sait la terreur qu’ils ont répandue. On peut lire, on peut regarder des documents, on va à Auschwitz, on a des preuves de cette férocité. Et pourtant il y a des gens qui disent que non, ça n’a jamais existé. On ne peut pas comprendre. C’est une faillite devant le savoir qu’on a de notre histoire, et la rechute dans ces violences, comme si ça n’avait pas eu d’importance. A cela, je ne peux pas m’adapter…

Margarethe Von Trotta et le mur de Berlin photographié par Depardon en 89. Photo BC


Pour revenir au cinéma : vous êtes réalisatrice, scénariste et aussi monteuse. Qu’est-ce qui vous excite le plus ?

Chaque moment est intéressant. Quand on écrit, on est scénariste en même temps que metteur en scène, alors au début on est seule avec ses pensées, avec ses recherches, avec des docs. Puis on entre en production, et là au début c’est encore assez limité, et puis une cohorte de gens arrivent. Pour le dernier film, j’avais 56 personnes et on a traversé six pays. Avec en plus dans chaque pays des intervenants nationaux. Donc c’est vraiment une caravane. Et après dans la salle de montage, ça redevient très intime, très fragile aussi. Et après vient le public et il y a des gens partout, des commentaires, etc. Ce rythme de la solitude vers l’extérieur, l’intérieur puis l’extérieur, j’aime beaucoup ça. Donc c’est le tout qui me plait.


Vous allez recevoir le prix Jean Zay, Orléanais qui a œuvré pour la gauche, pour le social, le culturel.

Oui, et qui était juif, et qui a été exécuté par le gouvernement de Vichy sur ordre des Allemands. Là encore, les Allemands sont coupables… Donc ça m’a beaucoup étonnée qu’on me donne ce prix. Avant moi, c’était Tavernier et Costa-Gavras. Maintenant une Allemande. Mais c’est sûrement parce que dans mes films, on peut voir mon opinion sur l’Allemagne et sur le nazisme. Mais quand même je suis assez surprise. Ça m’émeut. C’est un signe qu’on peut se réconcilier par le cinéma. Que c’est possible.

Margarethe von Trotta donnera samedi après midi, à 14h, une leçon de cinéma dans les locaux de Canopé, au troisième étage.

Commentaires

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  1. Remarquable réalisatrice, indispensable pour notre culture européenne et historique..
    Mais ce ne sont pas les allemands, nazis qui ont donné l’ordre d’assassiner Jean ZAY mais le gouvernement de Vichy, et ses miliciens..

  2. Erratum !

    “Avant moi, c’était Tavernier et Costa-Gavras. dit Margareth Von Trotta…
    Non ce fut Costa Gavras d’abord, puis l’an dernier: Marin Karmitz…
    Faudra-t-il inviter Tavernier l’an prochain?

    Est-ce prémonitoire?

    Bravo encore pour le Festival Récidive 89 , qui nous régale!

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