IVG dans la Constitution : si Versailles m’était conté…

Les parlementaires ont largement adopté lundi soir la révision constitutionnelle visant à protéger la liberté d’avorter. Dans la région Centre-Val de Loire, le vote a été plus disparate avec abstention et vote contre à l’affiche.

La salle du Congrès lors du vote pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Photo Z. Cadiot


Par Zoé Cadiot


La caméra zoome arrière. Clap de fin. Dans quelques minutes, l’aile du midi du château de Versailles, qui abrite en son cœur la célèbre salle du Congrès où s’est réuni ce lundi le Parlement pour adopter la révision constitutionnelle visant à protéger la liberté d’avorter, va replonger dans un certain anonymat. Les ors de la République dans ce haut lieu monarchique sont en effet éloignés des yeux du grand public. Seuls quelques privilégiés peuvent en effet arpenter les couloirs de ce drôle d’hémicycle en forme de carré-rectangulaire où plusieurs pages de la Constitution ont été modifiées, enrichies après avoir remplis les conditions nécessaires à l’adoption de toute révision constitutionnelle. D’où les nombreux selfies « parlementaires » avant l’entrée en séance. A l’image du nouveau ministre du Logement Guillaume Kasbarian, encore peu député d’Eure-et-Loir, en compagnie du ministre en charge de l’Egalité Aurore Bergé.

S’afficher tout sourire lors de cette journée événement, un indispensable à l’image d’Aurore Bergé et Guillaume Kasbarian. Photo Z.C.

Dans les pas de Simone Veil

Dans cet hémicycle des grands jours, l’ambiance reste néanmoins très solennelle. Les élus placés par ordre alphabétique et non plus par appartenance à leur groupe politique illustrent parfaitement ce temps de concorde nationale. Chacun semble prêt à tenir son rang. Pas question de bousculer la dramaturgie annoncée qui s’ouvre par une première adresse du Premier ministre Gabriel Attal ! En une dizaine de minutes, l’homme rappelle les destins de ces femmes qui se sont battues pour la légalisation de l’avortement. A commencer par Madeleine Pelletier (1874-1939), qui finira sa vie internée dans un asile. Un hommage qui ne laisse pas indifférents enfants et petits-enfants de Simone Veil, qui a porté en 1975 la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) , mais aussi nombre de représentantes d’associations défendant les droits de femmes et militantes féministes, installées dans les tribunes centrales.

Des pour et des contre

Plusieurs élus de gauche et de droite prennent tour à tour la parole. « Ce 4 mars 2024, la France renoue avec sa vocation de phare des droits humains », juge Mathilde Panot, présidente du groupe la France Insoumise à l’Assemblée nationale, toute habillée de vert, couleur de la lutte pour le droit à l’avortement en Argentine. A gauche, et dans le camp présidentiel, on préfère saluer « un tournant historique ». Chez les Républicains, l’ambiance est plus contrastée. On ne veut pas gâcher la fête mais le « non » annoncé d’une cinquantaine d’élus comme ceux des 3 sénateurs euréliens (Albéric de Montgolfier, Chantal Deseyne, Daniel Guéret) ou encore l’abstention du sénateur du Cher Rémy Pointereau trahissent l’absence de consensus sur la question. « C’est bien beau de mettre dans la constitution mais il n’y a pas de moyens financiers. 18 % des femmes sont obligées de changer de département pour avorter », pointe le sénateur LR du Cher, qui n’est « pas contre l’avortement » mais contre cette opération de marketing politique pour reprendre les mots des amis du sénateur Guéret.

Encore des doutes

Des réticences qui apparaissent au grand jour quand Olivier Marleix, patron des LR à l’assemblée s’adresse au Congrès. L’homme qui votera finalement « oui » s’interroge : « L’Ivg était-elle aujourd’hui en danger dans notre pays, au point qu’il faille l’inscrire dans la constitution ? On pouvait en débattre ». « Mais les menaces à ce droit autour de nous ne peuvent nous laisser indifférents. Et même si ce risque est lointain, nous acceptions de le voir en face. C’est la raison pour laquelle la grande majorité des députés Républicains votera pour cette modification de la Constitution ». D’autant que certaines réserves, notamment sur la rédaction du texte, « quelque peu ambigu », ont été « levées depuis par les précisions du garde des Sceaux », Éric Dupond-Moretti ainsi que « des garanties apportées sur le maintien de la clause de conscience des soignants ». Mais les réticences persistent dans le groupe. Pour preuve, à quelques minutes des résultats du vote, dans la belle galerie des Bustes, le député eurélien s’interroge encore sur cette notion de « liberté garantie ». « N’est-ce pas une brèche exploitable pour ceux qui voient dans la limite de quatorze semaines une entrave insupportable à un droit fondamental ? »

Le président LR à l’assemblée Olivier Marleix a voté « oui » mais s’interroge toujours sur la nécessité du vote. Photo Z.C.

Ambiguïté ?

Des propos qui agacent le député Modem du Loiret, Richard Ramos. « Je suis en colère contre les ambiguïtés des LR. Certains ont voté du bout des doigts. Ont-ils oublié Jacques Chirac ? Oui, cette journée est historique. C’est très émouvant de graver dans le marbre, ce droit imprescriptible à la femme. Celui de pouvoir faire ce qu’elle veut de son corps », souligne l’ancien critique gastronomique, encore très touché par le discours de son collègue, le sénateur Claude Malhuret qui évoque « une tragédie », « un infanticide », quand il était jeune médecin.

Richard Ramos a savouré cette « journée historique » à Versailles. Photo Z.C.

Un vote sans surprise

Avec 780 voix contre 72 et une cinquantaine d’abstentions, le Parlement a largement approuvé l’inscription de « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » dans l’article 34 de la Loi fondamentale. A l’annonce des résultats, une salve d’applaudissements s’élève des travées, mais aussi des tribunes centrales où les invités de marque ont pris place. Puis, un chant féministe est entonné. L’instant semble figé. Les parlementaires encore présents, sont surpris d’une telle audace. Depuis le début de soirée, nombre de parlementaires se sont en effet éclipsés pour rejoindre la capitale. Parmi eux le député RN du Loiret, Thomas Ménagé, qui a voté pour, contrairement à sa « voisine » Mathilde Paris, qui voit dans cette révision « une mascarade ». La députée du Loiret, qui a voté par procuration, s’inscrit pleinement dans les propos d’Hélène Laporte, vice-présidente de l’Assemblée nationale qui s’est exprimée au nom du groupe RN. « Il y a une véritable arnaque à vouloir faire passer le vote de ce texte pour un geste historique envers les femmes alors qu’il n’apporte aucun progrès ». Pourtant pour Thomas Ménagé, qui souligne la liberté de vote dans leur groupe, « garantir ce droit était important » même s’il considère aussi qu’il y avait d’autres urgences comme l’égalité salariale ou encore l’accès aux gynécologues…

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Loi immigration : qu’ont voté les députés de la région Centre-Val de Loire ?

Commentaires

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  1. Liberté, égalité, fraternité, laïcité, démocratie… sont également des principes inscrits dans la constitution, pour autant on peine à en trouver la mise en œuvre effective dans la réalité.

  2. grosse gêne quand même que nombre de parlementaires, comme ils l’ont exprimé souvent, notamment dans la presse, par exemple ceux du Loiret ces derniers jours, se soient sentis obligés en si grand nombre, de voter contre leur volonté initiale sous l’effet de pressions diverses selon eux : familiales, médiatiques, regard d’autres collègues parlementaires du même groupe, “sens de l’Histoire”, etc …
    Un élu, a fortiori un faiseur de loi et encore pire un faiseur de Constitution en l’espèce, devrait être absolument libre de ses votes.
    S’ils l’ont fait une fois, ils peuvent le refaire, et pour des sujets moins consensuels …

  3. Que de palabres, de marchandages, de débats ineptes, d’amendements de la part des réactionnaires pour parvenir au vote historique, le 24 novembre 2022, de la proposition de loi constitutionnelle de la députée (LFI) Mathilde Panot sur l’avortement.
    Les conservateurs, obscurantistes, ont peu l’envie de voir les femmes totalement libres de leur corps, de leurs pensées, de leurs forces, ils ont bloqué au maximum l’inscription de cette loi dans la Constitution.
    Les député-es de La France Insoumise ont accepté de temporiser pour permettre que cette loi laissant “la liberté des femmes” de recourir à l’interruption volontaire de grossesse soit inscrite dans la Constitution.
    C’est fait depuis le 5 mars 2024, mais ne nous y trompons pas ce n’est pas le droit c’est la liberté, et derrière cette mention se cache encore des restrictions.
    Liberté veut dire choisir, le droit veut dire pouvoir, or en France les maternités, les centres hospitaliers perdent des lits ou ferment et les soignants se font de plus en plus rares.
    Par ailleurs la loi ne fait pas tomber la double clause de conscience, motivée elle par la morale ou la religion, spécifique et qui ne s’applique qu’à l’IVG et permet à l’ensemble du corps médical, infirmiers, sages-femmes, aides soignants, de refuser de pratiquer l’acte médical.
    La France Insoumise souhaite que cette double clause de conscience qui ne s’applique que pour l’IVG et qui relève en réalité d’une obstruction soit supprimée.
    Aujourd’hui une femme sur quatre serait obligée de changer de département si elle veut avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse.
    Le président de la République Emmanuel Macron aurait pu convier le Parlement, si pour lui la femme est son égal, le 5 octobre 2023, jour où les femmes en 1789 marchent sur Versailles. Je trouve que ça aurait été symbolique mais Macron a fait traîner l’événement peut-être pense-t-il que cela apportera des voix à l’élection Européenne à ses courants. Pour ma part je ne serais pas la seule à dénoncer que les député-es de la majorité présidentielle au Parlement européen ne votent pas en faveur des droits des femmes notamment en ce qui concerne les violences faites à celles-ci.

    Il faut maintenant que soit débaptisée la salle Soutoul à l’hôpital de Tours, voir article de Joséphine KA sur Mag-centre https://www.magcentre.fr/294893-conflit-des-memoires-de-lavortement-a-tours-faut-il-debaptiser-la-salle-soutoul-au-chru/

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