Homme de progrès, social-démocrate, républicain convaincu, Christophe Marion nous livre sa vision de la situation politique actuelle. Sans langue de bois et avec la conviction d’agir pour le bien commun.
Propos recueillis par Jean-Luc Vezon
Vous avez une sensibilité de gauche. Êtes-vous à l’aise dans votre costume de député macroniste ?
Christophe Marion : Je suis en effet membre de Territoires de Progrès, l’aile gauche de la macronie. Si les dernières évolutions démontrent une forme de droitisation, aussi constatée à l’échelle européenne, la vraie question pour moi est de savoir si je me sens plus à l’aise dans la majorité présidentielle que je ne me sentirais dans l’opposition de gauche ? La réponse est tranchée. Le fait pour celle-ci d’être inféodée aux Insoumis depuis deux ans me pose problème. Ce n’est pas ma gauche. La mienne est plutôt celle de Jean-Pierre Chevènement ou Manuel Valls, une gauche ferme sur la nation, l’immigration, qui défend la valeur travail. Issu d’un milieu populaire, mon père était chauffeur routier, ma mère travaillait en usine, le travail a favorisé mon émancipation.
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Sur quels dossiers travaillez-vous à l’assemblée ?
D’abord celui de l’Éducation nationale, dont j’ai rapporté le budget à deux reprises. Il va dans le bon sens même si je suis opposé à l’expérimentation de l’uniforme. Je travaille également sur la question des déserts médicaux et de la régulation des médecins. Je fais ainsi partie du groupe de travail transpartisan animé par le député PS Guillaume Garot. Nous avons notamment rédigé une proposition de loi proposant d’élargir le contrat d’engagement de service public (CESP) aux étudiants de 1er cycle et de mettre en place une forme de coercition allégée. Les territoires dans lesquels il n’y a pas de sous-densité médicale ne pourraient ainsi plus accueillir de nouveaux médecins. La Conférence régionale sur la santé et l’autonomie Centre-Val de Loire a d’ailleurs voté à 68 % pour cette mesure de bon sens que soutient également Stéphanie Rist. Enfin, je suis de près la crise agricole. J’ai mis en place un conseil de circonscription pour bien comprendre les enjeux. Vous le voyez, je sais faire entendre ma différence.
« Je suis favorable à l’euthanasie et au suicide assisté »
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Vous êtes aussi le fer de lance des restitutions…
Absolument, j’ai rapporté la loi du 26 décembre 2023 sur la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques. Les pays africains ou du Pacifique pourront ainsi retrouver ces restes et accomplir leurs rites funéraires. Je travaille également sur une prochaine loi pour restituer les biens culturels pillés lors de la colonisation. Il s’agit là encore d’apaiser et de réconcilier les mémoires.
Quelle est votre position sur la future loi sur la fin de vie annoncée par Catherine Vautrin ?
Je suis favorable à l’euthanasie et au suicide assisté. Il faut avancer sur cette question car nos concitoyens sont impatients en veillant à mettre en place des garde-fous comme la clause de conscience des médecins ou le contrôle. Il faut aussi renforcer les soins palliatifs. Chacun doit pouvoir mourir dans la dignité.
« On ne reviendra pas sur une agriculture du passé »
L’accord agricole trouvé par le gouvernement laisse sur la touche l’agriculture bio et/ou paysanne. La FNSEA a-t-elle eu gain de cause une nouvelle fois ?
Je me demande si l’opposition entre productivistes et bio n’est pas purement virtuelle. Il y a aussi un enjeu de récupération car on est en période préélectorale d’élection aux chambres d’agriculture. Ce qui me frappe enfin, c’est le nombre de non syndiqués qui récusent les syndicats. Il y a une forme de « giléïsation » (ndlr : référence aux gilets jaunes) des mouvements sociaux.
Sur le fond, cette opposition est factice. Je ne connais pas un seul agriculteur qui nie le réchauffement, qui ne veut pas éviter les intrants chimiques (dont les prix ont explosé) ou qui rejette les couverts végétaux. Le plan écophyto n’était jamais respecté. Il faut imaginer d’autres solutions et innover en avançant par exemple sur les nouvelles techniques génomiques (NGT) ou la décarbonation. La nouvelle ministre déléguée auprès de Marc Fesneau, Agnès Pannier-Runacher va travailler sur ces sujets essentiels. On ne reviendra pas sur une agriculture du passé.
« Les Insoumis appellent à prendre le pouvoir par la rue comme l’ont fait les Bolchéviks »
Redoutez-vous une nouvelle crise sociale ?
Il faudrait être fou pour penser que la marmite peut ne pas exploser. Une partie de l’hémicycle l’encourage et certains appellent à la convergence des luttes pour provoquer une explosion sociale. Après les deux échecs de Mélenchon, les Insoumis savent qu’ils n’accéderont pas au pouvoir par les urnes. Ils appellent donc à renverser la table, à prendre le pouvoir par la rue comme l’ont fait les Bolchéviks.
Méfions-nous cependant des représentations sur la baisse du pouvoir d’achat, les inégalités ou l’école : notre pays est au 3e rang dans l’UE pour les prélèvements sur le capital (10,5 % en 2021 contre 8,8 % moyenne UE), au 4e rang de l’OCDE pour la taxation des dividendes (51 %) et les effectifs moyens par classe dans l’élémentaire sont passés de 30 en 1980 à 21.
« Le RN fait partie de l’arc républicain… »
Beaucoup d’observateurs pensent que l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national est inéluctable. Qu’en pensez-vous ? Le RN fait-il partie de l’arc républicain ?
C’est possible comme semble le croire Aleksandar Nikolic qui pense faire tomber ma circonscription en 42 minutes mais attention au syndrome Balladur. Les élections ne sont que dans trois ans et nos concitoyens peuvent avoir un sursaut. Qui imaginait l’élection d’Emmanuel Macron ou de François Hollande ? Pourquoi un homme du terroir et populaire comme Jean Castex ne surgirait-il pas ? A mes yeux le RN fait partie de l’arc républicain même si leur vision d’une république autoritaire dirigée par un Chef (qui est aussi celle des Insoumis) n’est pas la mienne. Le RN est une menace pour notre vie démocratique.
Elisabeth Borne a utilisé à 23 reprises le 49.3. Quel avenir pour la majorité présidentielle à l’assemblée ?
Vingt utilisations l’ont été lors du vote du budget et de celui de la sécurité sociale. Ce qui semble normal car nous n’avons pas la majorité et le consensus n’est pas notre culture. Sur le fond, il est clair que nous ne sommes pas à l’abri d’une motion de censure et cela d’autant plus que nous avancerons vers le terme du mandat. Il sera alors de la responsabilité du président de dissoudre ou pas. J’y suis préparé. Mon état d’esprit est de faire mon travail le mieux possible. Je sais depuis mon élection que je n’ai qu’un CDD de 5 ans maximum.
Plus d’infos autrement sur Magcentre: La Région apporte de l’air à l’agriculture