Les caprices tortueux de la destinée ont conduit Pascal Thomas à atterrir au lycée en Forêt, à Montargis. Il y fit la rencontre déterminante de Roland Duval, professeur de lettres et Monsieur Cinéma du Val de Loing. Dans un livre édité par Séguier, le réalisateur raconte ses souvenirs, notamment ceux liés à Montargis, et son incroyable vie, intégralement vouée au cinéma.
Par Izabel Tognarelli
En 1972, « Les Zozos » sortaient sur grand écran. Le film était déjà un OVNI (ou un OCNI, Objet cinématographique non identifié) à cette époque, singularité qui n’a fait que s’accentuer au fil des années. À l’heure où aller au cinéma voir un film gore juste avant d’aller se coucher est devenu d’une affligeante banalité, les films de Pascal Thomas se distinguent encore et toujours par leur candeur, leur fantaisie et leur naïveté.
« Les Zozos », puis « Pleure pas la bouche pleine » (sorti en 1973) sont les deux films par lesquels ont commencé la carrière de Pascal Thomas. Ils sonnent à présent comme des témoignages de ce qu’était, il y a quelques décennies, une enfance en province. En janvier 2024 est sorti « Le Voyage en pyjama ». Dans l’intervalle, il a réalisé 17 autres longs métrages, notamment sa trilogie d’adaptations d’Agatha Christie… qui n’était jamais en reste en matière de fantaisie ! Dans quelques-uns de ces films apparaît au générique le nom de Roland Duval, en tant que coscénariste. Roland Duval fut son professeur de lettres, au Lycée en Forêt, à Montargis.
« Là-bas, ma rencontre avec Roland Duval (…) va changer ma vie »
Un professeur qui agit comme un catalyseur, l’affaire est commune. Mais que le résultat de la catalyse donne une telle carrière, voilà qui est tout à fait hors du commun. Les souvenirs de Pascal Thomas donnent le tournis (mais tout dans la vie de Pascal Thomas donne le tournis !). Les grands noms du cinéma semblent avoir tous croisé la trajectoire de la comète Pascal Thomas, à commencer par Claude Berri, qui l’a mis sur les rails. Cette trajectoire se poursuit aux côtés de Marcello Mastroianni, avec lequel il lia amitié ; il est question de Jane Fonda, que le fils de Pascal Thomas retrouva endormie, nue, dans la baignoire de leur grand appartement, celui qui inspira le film du même titre. La rencontre avec Orson Welles est un morceau d’anthologie, tant Pascal Thomas se montre magistral dans le ratage de l’interview du Maître. Les noms et anecdotes sont si nombreux, à chaque page, il est impossible de tous les citer : les cinéphiles apprécieront.
Le syndrome Pierre Richard
Le cinéma de Pascal Thomas témoigne de l’enfant qu’il est resté, même si les cheveux ont grisonné. Ses films sont empreints d’insouciance, de gaieté et de spontanéité. On les reconnaît au premier coup d’œil, comme on reconnaît les films de Mocky, d’Ivan Calbérac (qui a grandi à Montargis et a fréquenté, lui aussi, le lycée en Forêt) ou de Bruno Podalydès. C’est un cinéma typiquement français, qui ne se prend pas au sérieux.
De ce livre, on garde le souvenir de l’incroyable destinée de Pascal Thomas. La façon dont il est arrivé à Montargis relève de l’atterrissage d’une météorite dans un jardin. Cet épisode s’est passé en Afrique, et aurait tout aussi bien pu le conduire à la mort. Au lieu de cela, il le conduisit – sur un coup de fil – dans cette Thélème en forêt, comme Roland Duval surnommait le lycée dans lequel il exerçait. Ce qui aurait pu être la traversée du Styx déboucha sur les rives paisibles du Loing.
On garde aussi le souvenir de cette incroyable propension à réussir ses ratages avec panache, en une sorte de syndrome Pierre Richard qui donne à toute cette vie, déroulée sous nos yeux, une saveur tendre et suscite un sentiment affectueux.
Roland Duval, M. Cinéma et Grand Gondolier
Pascal Thomas décrit Roland Duval comme « l’un des hommes les plus singuliers et les plus fantaisistes » qu’il ait rencontrés. Ceux qui l’ont connu ne peuvent que confirmer. Roland Duval était un bon vivant qui préférait le sacrilège au sacré, sauf quand il s’agissait de défendre dogmatiquement ses chapelles footballistiques ou cinématographiques. Pendant une bonne cinquantaine d’années, cet iconoclaste a affûté son sens inné de la provocation dans une chronique qu’il signait sous le pseudonyme du Grand Gondolier, publiée dans L’Éclaireur du Gâtinais, l’hebdo de Montargis. Dans cette chronique hilarante, il étrillait l’humanité tout entière, au fil de l’actualité. Mais ce paravent cachait (à peine) un homme d’une immense culture, à la fois littéraire et cinématographique. Grâce à lui, les élèves du lycée en Forêt ont eu des séances de ciné-club de haute volée, en présence de personnalités telles que Claude Chabrol. Dans les années 60, il a fondé sa propre revue, intitulée VO (revendiquée « revue provinciale de cinéma ») ; il a participé à la revue Écran ; et pour La République du Centre, il interviewait acteurs et metteurs en scène. Il a aussi fondé l’association Cinémania, label repris dans d’autres villes, relayée par la suite à Montargis par Les Cramés de la bobine.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Château-Renard : quand l’audiovisuel se conjugue au mode rural