Le Théâtre de la Tête Noire à Saran, programmait pour deux représentations, ce texte de l’autrice Clémence Weill, adapté et mis en scène par Coraline Cauchi, la Directrice artistique de la Compagnie.
Par Bernard Thinat
Spectacle créé en fin d’année dernière à l’Atelier de Vernouillet près de Dreux, passé par Chaumont en Haute-Marne, Saran accueillait la Compagnie Serres Chaudes qui travaille sur les écritures contemporaines et sur des matériaux qui ne sont pas à priori destinés au théâtre afin de les ramener au plateau. Sa dernière création, « Bleuenn & Rozae », forme avec son précédent spectacle « Bleue », une sorte de diptyque. Si Bleue était bouchère (et pas seulement pour tenir la caisse), Bleuenn et Rozae voyagent à travers le temps et l’espace afin d’évoquer celles qui refusent le patriarcat.
Le texte est de Clémence Weill, autrice et comédienne, à qui la Compagnie a passé commande d’écriture, avec cahier des charges concernant le nombre de personnages, la musique au plateau, et l’ensemble de la documentation de recherche, interviews, sortie de Blanquer exigeant le soutien-gorge au lycée. A partir de ces matériaux, l’autrice écrit seule le texte, sorte de tissage mêlant fiction et réalité. « S’il y a une chose à saluer, c’est l’écriture du texte avec des fulgurances d’images, faisant apparaître des mondes, avec beaucoup d’humour, des formules qui vous sautent au visage et qui ne vous quittent plus », s’enthousiasme Coraline.
« Bleuenn & Rozae », c’est un prologue, deux parties et un final en chanson. Dès le prologue, on y dénonce la disparition en France d’une très grande partie de l’industrie textile où travaillaient des milliers de femmes, on n’oublie pas d’en désigner un des principaux responsables, devenu milliardaire, avec le portrait de Bernard Arnault. A Orléans, pour le public un peu moins jeune, on pense inévitablement à Brill travaillant pour Cardin, installé faubourg Bourgogne, fermé en 1981, un temps transformé en coop, et jetant au chômage plus de 300 salariées.
Coraline, Baptiste, ?, Sacha et Hélène – Photo Cie Serres chaudes
Voici Bleuenn (Coraline Cauchi) qui part à l’aventure sur les routes, accueillie par une paysanne s’occupant seule de ses brebis, laquelle nous dit sans hésiter que « la solitude est un luxe ». Au diable le patriarcat, pas d’homme, pas d’enfants, la liberté absolue, quoi ! Et c’est bien la bergère que le public entend, enregistrée lors du passage de l’équipe du côté d’Angers, confiera Coraline Cauchi. Direction l’Albanie, pays où l’on raconte comme une sorte de légende, sauf que l’histoire est bien réelle, celle de ces jeunes filles qui, pour telle ou telle raison, deviennent hommes, par leurs habits, leur travail, leur façon de vivre, renonçant par là même à l’amour, aux enfants. On les appelle les Burneshë.
Il s’agit en Albanie d’une tradition qui existe encore. Coraline parle d’une femme devenue Burneshë à la suite du décès des hommes de sa famille, choix qu’elle a fait en toute conscience, ne considérant pas cela comme un sacrifice, étant honorée par sa communauté. Mais ajoute Coraline, il s’agit d’une tradition à la marge, assez confidentielle, dans les territoires enclavés, proche du Kosovo, et qui ne s’inscrit pas dans les luttes féminines, ni dans la religion.
Coraline Cauchi en Bleuenn et son mouton – Photo Cie Serres chaudes
Voilà Rozae (Hélène Stadnicki) dans son atelier de couture, sortant les patrons d’une grande malle et évoquant ses grands-mères sur plusieurs générations, les exhumant et les faisant parler tels des fantômes, elles qui ont jeté par-dessus bord gaines et corsets, soutiens-gorge plus récemment. « Il faut regarder les femmes telles qu’elles sont non telles qu’on les projette », assène Rozae, ajoutant : « Tant que ton corps est enfermé, comment veux-tu que ton esprit soit libre ? ». On cite Angela Merkel et sa veste rouge comme l’exemple d’une femme forte face à la meute des hommes de son parti.
Le chœur des femmes – Photo B.T.
La musique : Baptiste Dubreuil à la formation jazz, la compose à l’intuition, à la sensibilité, en collaboration avec Coraline qui lui donne de fortes indications. Après un très gros travail d’écriture en amont, avec grilles et canevas, il joue sur le plateau aux claviers avec Sacha Gillard à la clarinette, traitant les sons en direct avec une régie quasiment en live, toujours à l’écoute de ce qui se passe et comment cela se réajuste avec le texte.
Au final, un chœur de femmes sur le plateau entonne la chanson, l’hymne des ouvrières, composé spécialement pour le spectacle :
Nous marchons par milliers
Notre temps est arrivé
Jamais courber le dos
Sans trêve et sans repos
Bleuenn et Rozae / Patchwork
COMPAGNIE SERRES CHAUDES. Direction artistique, mise en scène, dramaturgie et vidéo Coraline Cauchi. Collaboration dramaturgique et vidéo Hélène Stadnicki. Avec Hélène Stadnicki, Coraline Cauchi, Baptiste Dubreuil (claviers) et Sacha Gillard (clarinettes).