Génocide des Tutsis au Rwanda : une habitante de Châlette-sur-Loing, partie civile au procès de Sosthène Munyemana

Du 14 novembre au 20 décembre 2023 s’est tenu à la Cour d’assise de Paris le procès de Sosthène Munyemana, ex-médecin, suspecté d’avoir pris une part active au génocide rwandais. Il a été condamné à 24 ans de réclusion en première instance. Il a fait appel. Espérance Patureau, ex-adjointe à la mairie de Châlette-sur-Loing, était partie civile lors de ce procès.

Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Source wiki Adam Jones, Ph.D.

Par Izabel Tognarelli


En 2024, cela fera 30 ans qu’a eu lieu le génocide des Tutsis. Depuis le 7 avril et jusqu’en juillet 1994, une vague de folie meurtrière a déferlé sur le Rwanda. Du haut des collines dévalèrent des fleuves de sang. L’ONU a estimé le nombre de victimes à 800 000, en seulement trois mois. Mais d’autres charniers ont été mis au jour et les chiffres dépasseraient le million.

Butare, havre de paix, puis cœur de la tourmente

Espérance Patureau est originaire de la préfecture de Butare, où Sosthène Munyemana était médecin-gynécologue. Il a pris des responsabilités à Butare au moment où Théodore Sindikubwabo, pédiatre d’origine hutu, a été nommé pour assurer la présidence du pays par intérim, à la suite de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, et de son confrère burundais Cyprien Ntaryamira. « Mes parents habitaient la colline de Tumba, village situé à 2,5 km de Butare. Leur maison était à cinq minutes à pied de chez le Dr Munyemana. Aucun Tutsi n’est sorti vivant du bureau de secteur, sorte de Maison de quartier, dont Sosthène Munyemana détenait la clef et dans lequel il prétend avoir mis les Tutsis à l’abri ».

La province du sud rwandaise où se situe l’ancienne province de Butare.

« Nous n’avions plus rien, comme si rien n’avait jamais existé »

Pour sa part, Espérance Patureau était à l’étranger, mariée à un Français. « C’est ce qui m’a sauvée, » précise-t-elle. Une de ses sœurs était également à l’étranger. « Nous étions dix enfants, j’étais l’aînée. Aucun de ceux qui habitaient Tumba n’a survécu. Seul mon frère qui était à Kigali a survécu, mais son épouse et ses deux petites filles, un bébé de trois mois et une fillette de trois ans ont été tués. J’avais aussi un frère à Gikongoro, tué lui aussi, en même temps que sa petite fille. Il laissait deux garçons, dont un bébé de trois mois. Avec mon mari, nous les avons adoptés tous les deux ».

À partir de 2004, dix ans après le génocide, Espérance Patureau a commencé à aller au Rwanda, afin de rencontrer des rescapés. « Je suis allée chercher mon histoire. Nous n’avions plus de maison ; nous n’avions plus de souvenirs, plus de photos, de livres de documents : il n’y avait plus rien, comme si rien n’avait jamais existé. Les rescapés ne voulaient pas nous révéler certaines histoires, pour ne pas nous faire trop souffrir : je les ai découvertes au tribunal ». Il y a aussi eu ce voyage en 2006 : « Nous sommes allés déterrer les corps, sur indications des rescapés, mais aussi sur celles des bourreaux. Nous avons trouvé ces corps ».

Depuis 1995, toutes les informations qu’on lui donnait convergeaient vers le bureau de secteur et vers le Dr Munyemana, qui en détenait la clef. « C’est pour cela que je me suis constituée partie civile ». Dans l’intervalle, il s’était installé en Gironde, puis dans le Lot-et-Garonne, où il exerçait comme médecin-urgentiste.

Deux associations pour la mémoire et la justice face au génocide des Tutsis

« Ibuka » signifie « souviens-toi ». « Nous avons créé cette association pour nous refaire une famille », explique Espérance Patureau. Ibuka-France, dont elle est membre, intervient pour la mémoire, la justice et l’aide aux rescapés. Quant au CPCR (Collectif des parties civiles pour le Rwanda), il se consacre exclusivement à la justice, avec une trentaine de dossiers en cours et d’autres personnes encore, soupçonnées. Mais peut-on se reconstruire après de pareils faits ? « On peut se reconstruire, grâce à la justice. C’est un espace de réparation. On ne peut pas se reconstruire sans elle. Il faut que le bourreau soit reconnu comme tel. Il faut la justice pour rétablir les victimes dans leur dignité, » estime Espérance Patureau.

Mais assister à un tel procès est une épreuve pour les victimes. Des témoins sont venus spécialement du Rwanda. Pour certains d’entre eux, c’était la première fois qu’ils prenaient l’avion ; la première fois qu’ils venaient dans un pays européen, et qu’ils rencontraient le froid. Il n’y a pas d’hiver au Rwanda. Ils sont venus sur convocation du tribunal et sont repartis un ou deux jours après. « Ils nous ont dit que c’était leur devoir, » commente Espérance Patureau « Il leur fallait dire la vérité en présence de celui qui leur a fait ce mal ». Mais il leur faudra revenir et affronter à nouveau l’épreuve, car Sosthène Munyemana, condamné en première instance à 24 années de réclusion dont huit avec sûreté, a fait appel de sa condamnation.

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Commentaires

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  1. Non lieu ou pas sur la responsabilité de l’État français, les historiens eux sont catégoriques la France a été un acteur incontournable de ce génocide des Tutsis.
    L’État français n’a jamais supporté, hier mais encore aujourd’hui, que des peuples en Afrique se révoltent et se battent pour leur indépendance. Depuis toujours, peut importe la couleur politique des gouvernements français, La France a toujours entretenu, et continue de le faire, à chaque fois qu’elle le peut, des autocrates qu’elle corrompt pour privilégier les grosses entreprises privées détenues par des milliardaires. L’Afrique est riche le jour où les Africains décideront de prendre en mains leurs richesses la France, comme les autres États européens, Américains ou Asiatiques ce mettrons à genoux pour obtenir leurs faveurs.
    Alors que l’on pille ce continent on méprise celles et ceux de ces pays d’Afrique qui viennent chez nous étudier, se former, ou travailler, qu’elle honte.

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