La collaboration était au menu du Cercil Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv ce 16 janvier 2024 à Orléans. Pour en parler, Cécile Desprairies autrice de La propagandiste. Un premier roman réussi qui raconte sans concession mais avec humanité le passé collabo de sa propre mère.
Cécile Desprairies autrice de La propagandiste au Cercil le16 janvier 2024. photo SD
Par Sophie Deschamps
Si de nombreux ouvrages et romans parlent de la Shoah et de ses victimes, il est plus rare de trouver des livres qui abordent la période sombre de la collaboration française et encore moins des romans. D’où l’intérêt de la venue ce 16 janvier au Cercil de l’historienne-écrivaine Cécile Desprairies, devant une salle pleine, pour son premier roman La propagandiste. Un récit toutefois autobiographique dans lequel elle raconte le passé collaborationniste de sa mère et d’une grande partie de sa famille.
Quinze ans de recherche et trois ans d’écriture
On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi cette historienne est devenue une spécialiste de l’Occupation en France. Il lui aura fallu cependant attendre 60 ans et la mort de ses deux parents pour “s’autoriser” à parler de son passé familial ainsi que quinze années de recherches et trois années d’écriture.
Mais ce qui rend ce texte si unique et si bouleversant, c’est qu’il est écrit à hauteur d’enfant. Une petite fille prénommée Coline, dont Julien Leclerc, chargé de programmation au Cercil et qui animait cette rencontre a lu deux extraits de ses “pensées” : « Je grandis dans les méandres du mensonge et de la vérité ». Une enfant qui en grandissant va devoir démêler le vrai du faux en apprenant l’allemand puis en devenant historienne. Ainsi, parlant des femmes de sa famille elle écrit : « Éternelles insatisfaites, ces femmes se scrutaient comme des cocottes, traquant leurs plus petites imperfections. Elles n’avaient que leur corps et ce corps parlait pour elles. »
Des femmes qui cherchent un bon parti pour se marier car à l’époque peu de femmes occupent un emploi. Comme l’a expliqué Cécile Desprairies « le choix du roman m’a permis de donner leur part d’humanité à ces femmes ».
Lucie elle va vivre durant quatre ans une grande histoire d’amour avec Friedrich, un Alsacien, grand, blond, mince. En un mot un pur produit nazi, étudiant en médecine non pour soigner mais pour devenir chercheur en biologie génétique dans une perspective raciale évidemment.
Un antisémitisme ordinaire monstrueux
Cécile Desprairies ne juge pas, elle raconte et lâche des détails dont certains sont glaçants. Notamment lorsque les femmes de la famille évoquent devant Coline la rafle du Vél d’Hiv « à la façon d’un épisode météorologique de type caniculaire ». Ces dernières racontent que « par un des interstices de l’enceinte “un Juif” avait tendu à ma grand-mère une montre en or en échange d’un verre d’eau. Ma grand-mère avait pris la montre mais n’avait pas donné le verre d’eau. Coline commente alors : « C’était dit sans émotion. Je me demandais si j’avais bien entendu. » Tout est dit par ces quelques mots de l’antisémitisme “ordinaire”, donc monstrueux de cette époque.
Une photo de couverture authentique
Rien n’est laissé au hasard dans ce livre et surtout pas la photo de couverture qui est d’ailleurs extraite de l’un des ouvrages de Cécile Desprairies Sous l’oeil de l’occupant. Un cliché sur lequel on voit une jeune Française souriante vendant à Paris des journaux nazis et collaborationnistes.
Julien Leclerc et la photo de couverture de La propagandiste de Cécile Desprairies tirée d’un autre livre de l’autrice Sous l’oeil de l’occupant. Photo SD
Parmi eux Signal, principal journal de propagande nazie, vendu à 800 000 exemplaires en France grâce notamment à la qualité exceptionnelle de ses clichés en couleur. Lucie, grâce à la qualité de ses slogans percutants, antisémites, antirépublicains et racistes inventés pour la grande exposition de 1941 Le Juif et la France va poursuivre sa carrière dans la version française de Signal, introuvable et pour cause aujourd’hui, d’où le titre du livre La propagandiste.
Si Friedrich meurt très jeune, Lucie même remariée restera fidèle à ce grand amour de jeunesse toute sa vie. Elle n’éprouvera jamais le moindre regret d’avoir choisi le camp nazi. Jusqu’au bout les salauds seront pour elle les résistants et la Libération “l’Invasion”.
La Propagandiste de Cécile Desprairies, Seuil
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