Qu’est-ce que le wokisme ? Une nouvelle idéologie, un mouvement gauchiste, un avatar philosophique, un phénomène communautariste… Le terme est brouillé, galvaudé et polémique. Wok : mot d’argot dérivé de « awake », éveillé en anglais, a donné naissance au wokisme. Ce serait donc la nécessité d’être éveillé, attentif et vigilant. Mais à quoi et pourquoi ?
Par Jean-Paul Briand.
En 1965, dans un de ses discours, le leader de la lutte non-violente contre la ségrégation raciale, Martin Luther King, a fait allusion à cette nécessité d’être « awake », en éveil. Mais le wokisme s’est véritablement amplifié, au milieu des années 2010, avec le mouvement « Black Lives Matter » (les vies noires comptent) sur des campus universitaires américains, dans les suites de brutalités policières racistes. À l’origine les militants « woke » voulaient dénoncer toutes les manifestations du racisme.
La traite négrière a donné naissance au racisme
Jusqu’à la découverte de l’Amérique (1492), en terres chrétiennes européennes la traite d’esclaves n’est pas acceptée. Durant le Haut Moyen Âge c’étaient des Slaves des Balkans, des blancs, qui étaient capturés et asservis par les Germains et les Byzantins (d’où l’origine du mot « esclave »). Entre le XVème et XVIème siècle, seul le Portugal pratiquait le très lucratif trafic de populations noires. En 1642, l’obstacle moral cède en France quand le roi Louis XIII autorise le commerce d’esclaves dans les colonies françaises. L’idéologie raciste est alors apparue afin de légitimer la traite négrière : il fallait christianiser et civiliser des peuples de races jugées inférieures. Renforcée aux XVIIème et au XVIIIème siècle par des discours scientifiques vaseux, une hiérarchie entre les humains est établie selon la couleur de la peau : la race blanche étant supérieure à toutes les autres. L’abolition officielle de l’esclavage a été proclamée d’abord en 1761 par le Portugal puis, entre 1825 et 1835, dans l’empire colonial britannique, en 1848 par la France et en 1865 aux Etats-Unis. Tous les pays aboliront l’esclavage vers la fin du XXème siècle. C’est la traite négrière qui a donné naissance au racisme et non l’inverse.
L’ancien racisme « biologique » remplacé par un racisme « culturel »
Cette acceptation de races inférieures, apparue à l’origine pour justifier la traite des noirs, a laissé des traces délétères dans l’inconscient collectif et individuel. C’est l’une des causes de la Shoah. Les nazis étant persuadés que les Allemands étaient d’une race supérieure et les Juifs d’une race inférieure à éradiquer. Après le drame génocidaire de la Deuxième Guerre mondiale, les théories racistes ne pouvaient plus être ouvertement énoncées. Un nouveau racisme est apparu : il n’y a plus de races inférieures à rejeter voire à éliminer mais des civilisations différentes qui ne peuvent cohabiter et qu’il ne faut surtout pas métisser. Pour les adeptes de ce néoracisme, il existe toujours une hiérarchie des peuples. Selon eux, les êtres humains sont égaux mais appartiennent à des cultures différentes dont certaines sont toxiques pour les anciens peuples coloniaux. L’ancien racisme « biologique » est remplacé par un racisme « culturel » devenu le fonds de commerce des groupes politiques d’extrême droite et des suprémacistes blancs.
Une remise en cause de l’héritage universaliste des Lumières
Dans leur lutte contre la ségrégation raciale, les apôtres du wokisme y intègrent une forme discrète de racisme : le racisme systémique. Les institutions étatiques, l’administration, la société seraient imprégnées de partis pris hérités des périodes esclavagistes et coloniales. De multiples petites ségrégations s’exerceraient quotidiennement mais jamais à l’encontre du mâle blanc. Le wokisme dénonce toutes ces formes de discriminations subtiles, dues à des préjugés non conscients, qui sévissent dans le monde du travail, de la politique, du commerce, de la médecine, des banques… Par similitude, le féminisme et la lutte contre le sexisme se sont associés à ce combat antiraciste.
En adoptant une posture combative, qui entrave parfois la liberté d’expression, les militants du wokisme seraient, pour leurs adversaires, une authentique menace pour la démocratie dont ils essaieraient de saper les fondements. Après sa sévère défaite aux élections législatives de 2022 dans le Loiret, un ancien ministre de l’Éducation nationale s’est recyclé dans l’anti wokisme. Il a lancé un groupe de réflexion car « ces revendications (celles du wokisme) identitaires de toute nature remettent en cause l’héritage universaliste des Lumières et morcellent dangereusement notre corps politique », prévient-il.
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