Le 8 janvier 1969, trois officiers de réserve comparaissent devant le tribunal correctionnel d’Orléans après le renvoi de leur livret militaire. Parmi eux, Jean-Pierre Perrin-Martin, militant infatigable décédé fin 2020. Retour sur un procès qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
Jean-Pierre Perrin-Martin en 2002, défend le Forum des Droits de l’Homme à Orléans. Il avait été jugé et condamné en 1969 à Orléans après le renvoi de son livret militaire. Photo Mourad Guichard
Par Sophie Deschamps
Dans les années 60, l’Armée Française ne plaisantait pas avec le règlement. Ainsi, le renvoi de son livret militaire au ministère des Armées était considéré comme de la désobéissance civile et donc un délit. C’est pourquoi le 8 janvier 1969, trois officiers de réserve, dont deux prêtres Jean-Pierre Perrin-Martin et Jean Desbois (qui se marieront ensuite), ainsi qu’un professeur de philo Jean-Marie Muller comparaissent devant le tribunal correctionnel d’Orléans.
La non-violence opposée à la torture en Algérie
Ces trois humanistes qui ont peu à peu découvert la philosophie et les méthodes d’action de la non-violence savent de quoi ils parlent. En effet, durant la guerre d’Algérie, ils ont été directement confrontés à la pratique généralisée de la torture. Ils s’opposent ensuite au développement en France de l’arme nucléaire, même dissuasive. Aussi, en juin 1967, ils demandent au ministre des Armées le statut d’objecteur de conscience.
Suite à son refus, ils décident alors de renvoyer leur livret militaire au Ministère des Armées, acte illégal à l’époque. Des livrets accompagnés d’une lettre commune dans laquelle ils affirment « qu’il doit être possible pour tout citoyen, quelle que soit sa situation militaire, de choisir d’autres moyens que la violence ou la menace de violence pour promouvoir la paix entre les hommes. »
Des témoins prestigieux
Ce procès qui aurait pu passer inaperçu connaît alors un fort retentissement national à cause de deux témoignages de poids : celui de Robert Buron, ancien ministre de De Gaulle et surtout celui de Guy-Marie Riobé, alors évêque d’Orléans. À la barre, ce dernier déclare : « Ici, aujourd’hui, je suis un témoin. Témoin de tous ces hommes, jeunes et adultes, incroyants et croyants, qui, devant l’état lamentable d’une humanité toujours en guerre et devant l’effroyable danger d’un conflit atomique, en viennent à vouloir “poser des actes” pour que cesse enfin la guerre ». De son côté, Robert Buron vient expliquer que « la loi reconnaissant l’objection de conscience, voulue par le gouvernement Pompidou a dû être tempérée par le Parlement, par peur d’une multiplication des cas ».
Las, le tribunal correctionnel d’Orléans condamne les trois hommes à trois mois de prison avec sursis, 1.000 francs d’amende et cinq ans de privation de droits civiques. Un jugement confirmé en appel le 18 avril 1969.
50 ans après
En 2019, les trois amis font le bilan de leurs 50 ans de militantisme sur la reconnaissance de la non-violence. Lors d’une réunion publique à la maison des associations le 8 janvier, Jean-Marie Muller et Jean Desbois lisent une lettre commune en l’absence de Jean-Pierre Perrin-Martin, souffrant. Un texte qui dit notamment ceci : « Au moment où les politiciens français doivent trouver des milliards pour satisfaire les revendications sociales des plus défavorisés, le gouvernement ne cesse d’augmenter le nombre de milliards consacrés à la modernisation de la dissuasion nucléaire ». Parmi leurs revendications, ils demandent notamment que « la mise en place d’un Service National Universel (SNU) obligatoire pour les jeunes intègre le droit à l’objection de conscience ». Une possibilité écartée fin 2019 par un certain Gabriel Attal, alors secrétaire d’État, chargé du SNU.
Aujourd’hui seul Jean Desbois est encore vivant. Jean-Pierre Perrin-Martin lui est décédé fin décembre 2020, à 88 ans. Quant à Jean-Marie Muller, il nous a quitté le 18 décembre 2021, à 82 ans.
Pour aller plus loin sur Magcentre, lire L’humaniste Jean-Pierre Perrin-Martin s’en est allé