Comme chaque fin d’année, la mascarade du Père Noël a eu lieu dans de nombreux foyers. Cet ersatz de Saint Nicolas de Myre, récupéré et déguisé en rouge pour les publicités Coca-Cola, est présenté comme ayant une existence réelle. Ce vieillard imaginaire, barbu, en surcharge pondérale et aux vêtements clinquants, est venu distribuer des cadeaux.
Par Jean-Paul Briand.
Philosophes, psychiatres, sociologues et psychanalystes ont travaillé sur le sujet. La révélation de la supercherie serait un élément nécessaire au développement psychique de l’enfant. Elle l’obligerait à changer ses rapports avec le monde des adultes.
De nombreuses interprétations savantes
De multiples théories expliquent que le rite du Père Noël a une utilité sociale :
- l’académicien Claude Lévi-Strauss, explique dans son ouvrage « Le Père Noël supplicié » (Édition Seuil) que la croyance au Père Noël est la reprise d’une cérémonie ancestrale de conjuration de la mort et « l’un des foyers les plus actifs du paganisme chez l’homme moderne » ;
- le psychanalyste français Jacques Lacan précise que le Père Noël protège du pire : « Avec le Père Noël, cela s’arrange toujours et je dirai plus, ça s’arrange bien » professait-il dans l’un de ses séminaires ;
- le psychologue Bruno Bettelheim, auteur de « Psychanalyse des contes de fées », pense que le Père Noël, avec son gros ventre, symbolise celui d’une femme enceinte et que sa descente par le conduit étroit de la cheminée évoque la naissance. Ce serait donc une célébration de la venue au monde de l’enfant ;
- d’après le sociologue François André Isambert, le Père Noël permettrait d’oublier la dure réalité de la vie et de rêver d’un monde sans conflit où régnerait l’abondance ;
- le philosophe loiretain, Octave Mannoni, considère que le rite du Père Noël et la déception qui s’ensuit seraient une sorte d’initiation fantasmée à la castration ;
- plus récemment, la pédopsychiatre Marie-Christine Mottet explique dans « Le Père Noël est une figure » (Édition Desclée de Brouwer) que la découverte de la supercherie avec l’épreuve de la désillusion permettent à l’enfant de désidéaliser les parents.
Cette liste sommaire et réductrice des fonctions supposées du culte du Père Noël n’est pas exhaustive. Bien d’autres explications érudites et subtiles existent, mais la majorité des parents ignorent ces hypothèses savantes.
Une fable encore majoritairement promue
Même s’il semble que le Père Noël soit plus prodigue dans les foyers les plus riches, pour de nombreux adultes cette tradition est un symbole de générosité et de gentillesse. Dans la plupart des familles, cette fable préserve une supposée « magie de Noël ». Elle n’est jamais considérée comme un authentique mensonge, d’autant qu’elle est encore majoritairement approuvée et promue. Ainsi l’école publique, où la crèche est scrupuleusement interdite, invite souvent le Père Noël.
Une histoire à dormir debout
Tous les parents savent bien que la découverte de la tromperie et de l’inexistence du Père Noël est inéluctable. Alors quelles sont leurs motivations et leur but éducatif caché à plébisciter ce personnage fictif introduit de force dans l’imaginaire enfantin et au service de stratégies de marketing destinées à vendre ? Quels peuvent être les avantages qu’ils retirent de cette tromperie, symbole d’achats outranciers ? Comment les adultes peuvent-ils légitimer cette fiction invraisemblable ? Même si mentir, mieux que le rire, est le propre de l’homme, pourquoi abuser de la crédulité des plus jeunes et les berner afin de perpétuer cette histoire à dormir debout, au risque de perdre leur confiance une fois la supercherie révélée ?
Une illusion magique et joyeuse
Ces questions sont superflues et vaines car le rituel du Père Noël reste essentiellement un moment festif procurant de la joie. Pour beaucoup de parents c’est le plaisir de revivre, grâce à leur enfant, le souvenir attendrissant du temps de leur propre croyance en cette illusion magique et joyeuse, lorsqu’ils étaient encore ingénus et innocents. « Ce n’est pas seulement pour duper nos enfants que nous les entretenons dans la croyance au Père Noël : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-mêmes » affirmait Claude Lévi-Strauss. Il faut néanmoins se rappeler les paroles du sage et érudit Hubert Reeves : « Devenir adulte, c’est reconnaître, sans trop souffrir, que le Père Noël n’existe pas ».