Le Billet de Patrick Communal
Ce qui caractérise le texte qui vient d’être voté c’est qu’il trouve son inspiration dans la haine, et c’est cette haine de l’autre, hier du juif, aujourd’hui de l’Arabe, de l’Africain, de l’Oriental, qui conduit le parlement à une rupture avec de vieux principes issus des Lumières, l’universalité des êtres humains qui justifiait l’égalité de traitement dans la politique d’assistance et l’accès aux droits, le conduit par ailleurs à la mise en place de procédures qui vont compliquer la vie quotidienne déjà difficile des migrants. Cette haine s’exprime partout, au comptoir des bistrots, dans les entreprises, les salons bourgeois, elle a su aussi se manifester sur les ronds-points des gilets jaunes… Quand on me demande ce qu’on peut faire contre la haine qui inspire l’arrogance nazillarde de parlementaires crypto-fascistes, ou qu’on m’adresse une injonction à manifester avec la CGT locale, le NPA 45, de vieux trotskystes septuagénaires millésime 68 dont l’organisation en cours de scission, a exprimé son enthousiasme à l’annonce de l’attaque du Hamas le 7 octobre, « tousensembleutousensembleu – wé ! » Avec le mec sur son camion qui beugle « anti ! anti ! anti kapitalist ! » je réponds assez spontanément que ces manifs me dépriment profondément et qu’elles ne changeront pas un iota du vote de nos parlementaires locaux, Ramos trahira avec rondeur et roublardise, Rist collaborera en silence, et Janvier sauvera l’honneur. Je ne vais plus dans ces manifs, elles sont faites pour les gens qui s’y sentent bien dans un entre-soi de vieux gauchisme recuit, pour ma part, j’ai le sentiment d’y gaspiller ce qui me reste d’énergie. La haine dont je parle plus haut, des bistrots, des entreprises et des salons, la trouille aussi alimentée par les médias Bolloré, ne s’arrêtera pas devant les banderoles de la CGT et du NPA. Alors que faire ?
Pour évoquer l’antisémitisme des années 30 et de l’occupation, la lecture du journal d’Anne Frank qui nous fait pénétrer dans l’intimité quotidienne de cette jeune juive cachée dans un grenier d’Amsterdam et dont le récit s’interrompt brutalement et silencieusement suggérant l’arrestation, la déportation et la mort, l’exemple aussi de ces familles françaises qui, individuellement, sans appartenir à un réseau de résistance, ont caché des juifs et ont permis à 80% d’une population pourchassée par les nazis et notre police d’échapper à la déportation, ce récit et ces exemples, me semble-t-il, ont contribué, pendant de nombreuses années, à faire reculer l’antisémitisme et stimuler la prise de conscience collective du crime commis en notre nom.
Quand nous avons accueilli et hébergé une famille afghane en 2017, dans un village qui avait voté Le Pen à plus de 30%, et où on n’avait jamais côtoyé de femmes orientales portant le voile, nous avons été surpris et impressionnés par la mobilisation solidaire des voisins, puis d’une bonne partie de la population locale qui, au fur et à mesure qu’elle faisait connaissance de ces gens venus d’ailleurs, percevait qu’ils et elles leur ressemblaient pour l’essentiel, des liens d’amitié se sont créés et ont perduré après leur départ. C’est une des raisons qui m’ont conduit à écrire la petite reine de Kaboul, appuyé sur l’exemple, pour déconstruire les préjugés et la peur qui sont générateurs de haine. Accumuler au quotidien ces gestes de solidarité, parfois simplement sourire à l’autre, dans la rue, les transports en commun, c’est faire reculer la haine, c’est lutter aussi contre les lois qui s’en inspirent, écrire sur tout ça, en parler autour de nous, lors des repas de famille de Noël, interpeller nos parlementaires sur ces questions pour qu’ils sachent que non, nous ne sommes pas tous racistes, et que nous n’aimons pas qu’ils votent des lois qui le sont, remercier ceux ou celles qui résistent à cet engrenage mortel, c’est, à terme, plus fort qu’une banderole et des slogans scandés rue de la République.
Pour autant, je n’ai aucune hostilité à l’encontre de ceux qui manifestent, simplement, ils m’inspirent de l’ennui, je ne vais plus que dans les manifestations divertissantes, comme le concert de casseroles, le convoi de l’eau ou l’enterrement du plan vélo devant la mairie d’Orléans. J’en appellerai donc à l’imagination de l’union locale CGT et des vieux trotskystes.