Annoncée mercredi, la relaxe d’Éric Dupont-Moretti, jugé par la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts ( pour avoir ordonné deux enquêtes administratives contre des juges avec lesquels il était en délicatesse ndlr) laisse l’ancien président de la commission des Lois au sénat, Jean-Pierre Sueur quelque peu dubitatif. Et il n’est pas le seul. Aussi, l’ancien sénateur du Loiret, qui fut juge suppléant dans le procès de Christine Lagarde , devant la Cour de justice de la République et corapporteur de la commission d’enquête du sénat sur l’affaire Benalla, réclame une nouvelle fois la suppression de cette juridiction d’exception.
Propos recueillis par Zoé Cadiot
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Magcentre :Poursuivi pour prise illégale d’intérêts, le ministre de la Justice, Éric Dupond- Moretti a été relaxé mercredi par la Cour de justice de la République (CJR) alors que la prise illégale d’intérêts a été établie lors des débats. Que pensez-vous de cette décision ?
Jean-Pierre Sueur :J’ai pour habitude de ne pas commenter les décisions de justice. Cela dit, je trouve, après avoir lu le jugement, que la décision me parait paradoxale et complexe.
C’est-à -dire ?
La prise d’illégale d’intérêts est établie par la CJR mais elle n’est pas intentionnellement établie d’où la relaxe. Vous voyez c’est très subtil.
Après cette relaxe « subtile », des voix dénoncent une parodie de justice avec la CJR, une justice d’entre-soi. …
Ce procès revient inévitablement. Et ce, quelles que soient les décisions de la CJR, qui je le rappelle est la seule instance habilitée à juger les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leur mandat. On ne peut donc empêcher le soupçon, nourri par le fondement de cette juridiction d’exception et sa composition (trois magistrats professionnels et douze parlementaires de tous bords ndlr). Le fait que des politiques puissent juger un autre politique conforte chez certains l’idée d’une justice à deux vitesses. Et pour eux, cette relaxe, cette justice clémente, ne s’expliquerait que par des intérêts autres que celui de rendre justice.
Pour éviter ce type de polémique, ne devrait-on pas supprimer la CJR ?
Je pense et ce depuis longtemps qu’il faut supprimer cette juridiction d’exception. Pourquoi, maintenir une telle spécificité juridique. Il y a aujourd’hui, avec la réforme constitutionnelle annoncée par le chef de l’Etat une réelle opportunité de concrétiser cette promesse de campagne du candidat Macron, qui était aussi celle de son prédécesseur, François Hollande.
Vous êtes donc favorable à un retour de ces dossiers devant des juridictions de droit commun ?
Oui. Et il n’y a rien de révolutionnaire dans cela comme on le voit actuellement dans des procès en cours (Olivier Dussopt, Nicolas Sarkozy et François Bayrou, pour ne citer qu’eux, sont actuellement jugés ndlr). Cela dit pour éviter les procédures abusives, le harcèlement judiciaire et autres règlements de compte à l’encontre des ministres en exercice, il faut créer une instance de filtrage des plaintes.
A la lecture de la décision, l’accusation qui avait requis une peine d’un an de prison avec sursis à l’encontre du garde des Sceaux annonce qu’elle pourrait se pourvoir devant la Cour de cassation. Doit-elle le faire ?
J’ai cru comprendre qu’elle y réfléchissait sachant que la CJR qui avait reconnu l’existence d’une « situation objective de conflits d’intérêt » l’avait relaxé au motif d’une absence « d’élément intentionnel». Elle a jusqu’à mardi pour déposer un pourvoi devant la Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Si cette dernière est saisie , elle ne se prononcera pas sur le fond du dossier mais regardera simplement si les règles de droit ont bien été respectées. Si ce n’est pas le cas, la décision pourrait être cassée et un nouveau procès pourrait être ordonné.
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