Dans un film déroutant, Vincent doit mourir, Stéphan Castang construit un conte cruel sur la violence. Portée par deux acteurs remarquables, cette longue descente dans l’horreur échappe à tous les genres, ce qui en fait un travail prenant et fort, qui va jusqu’au bout de ses choix.
Par Bernard Cassat
Stéphan Castang s’amuse à brouiller les pistes. Son film commence comme une sorte de chronique moderne sur une vie ordinaire, avec le personnage de Vincent, un peu gros ours tranquille et gentil, graphiste dans une boite moderne comme il y en a des centaines. Et soudain, le stagiaire lui défonce le visage avec son pc. C’est si soudain que d’abord on rit. Avant même de se demander ce qu’il se passe. Et puis une deuxième agression, beaucoup plus violente dans les images, change la sensation. Ce n’est plus la réalité, on est plutôt dans un film de zombies, même s’il n’y a pas de morts-vivants, une sorte de fantasy violente et étrange. Mais les moments de déraillement sont rares, et les retours à la réalité très convaincants. On se dit que Vincent développe une parano telle que ces scènes sont peut-être imaginaires. On pense à tout, que c’est une victime dans l’âme, que c’est lui qui a attiré la violence de l’autre, comme précise le psy que Vincent va voir, et on a à la fois tort et raison à chaque fois. C’est ce qui fait la force de ce travail.
Toute la première partie, la longue descente dans la violence qui pousse Vincent à fuir la société, joue sur cette impossibilité de savoir vraiment où l’on est. Et puis le récit part vraiment sur un autre mode. Une sorte de fable cruelle, un conte de la violence non plus ciblée sur le personnage de Vincent. Mais sur une société ou chaque regard peut déclencher la mort de l’autre. Vincent découvre qu’il n’est pas seule victime, qu’il y a même des sites d’agressés qui tentent de s’organiser, se donnent des conseils. Il va toucher le fond avec l’attaque de son voisin dans une fosse septique débordante. L’image va jusqu’au bout du symbole ; l’humanité traînée dans la « boue ».
Une rencontre improbable mais salvatrice
Sa rencontre avec Margaux, la serveuse de bistrot un peu marginale, ouvre une deuxième partie, qui n’est pas vraiment une remontée, mais une fuite dans une histoire sans accroche avec la réalité. Tous les deux vont vivre eux aussi la violence ambiante, au point qu’ils vont se menotter. Cette pratique volontaire, quasi sado maso, les emmène dans une relation à deux seuls sur un bateau. Une issue de l’histoire qui laisse cette fable sans explication. A aucun moment la violence n’est expliquée, justifiée, n’a un but ou une raison. Regarder suffit. D’où la force de la fable. Qui culmine dans une scène incroyable sur une route bloquée par un bouchon. Ça fait penser à Week-end, de Godard, et à l’absurdité du monde de la consommation et des voitures, ou à l’autoroute de Roma de Fellini envahie par des vaches. Ici, c’est la violence gratuite et absurde, qui se répand comme un virus avec une force absolument insoutenable.
Les deux acteurs sur lesquels repose ce long métrage, Karim Leklou en Vincent et Vimala Pons en Margaux, sont extraordinaires. Karim peut faire croire à tout, l’ordinaire comme le plus déjanté, le calme comme la tempête, le doux qui bout intérieurement, celui qui souffre sans rien montrer. Son visage de Pierrot tombé de la lune, avec une très grande présence à l’image, permet tout. Quant à Vimala, elle est aussi tout à fait à sa place dans cette femme un peu magouilleuse, qui vit sur un bateau et qui n’a rien à perdre.
Et le film va jusqu’au bout de sa logique. Etrange, dérangeant, Stéphan Castang réussit son pari qui était risqué. Car en fait, l’histoire est mince et les certitudes légères. Et pourtant elles suffisent à mettre très mal à l’aise, en mettant en images une analyse presqu’abstraite de la place de la violence omniprésente, et oblige à se poser en creux la question de ses raisons, de ses mécanismes et de son atroce gratuité. Ce qui est une belle dénonciation du monde contemporain.
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