Témoignage d’une enfant martyre

D’un cauchemar à l’autre. C’est le titre éloquent de l’ouvrage de Laure Sartori, qui vit à Lury-sur-Arnon (Cher). Un récit bouleversant dans lequel elle raconte l’enfer vécu de ses quatre à six ans à cause d’un beau-père bourreau, d’une mère déficiente mais aussi d’institutions défaillantes.

Par Sophie Deschamps.

Laure Sartori, 6 ans, couverture du livre D’un cauchemar à l’autre. DR


Laure Sartori a écrit ce texte à 18 ans pour coucher sa douleur sur le papier. Publié une première fois en 2011, son éditeur fait faillite. Âgée aujourd’hui de 45 ans, Laure veut faire sortir son livre de l’ombre pour témoigner. C’est donc une histoire dans laquelle il faut se plonger malgré la description de scènes insupportables. Car vécues par une petite fille battue, blessée, violée, menacée, terrorisée durant de longs mois entre ses 4 et 6 ans par un beau-père brutal et sadique, qui agit dès que la mère de Laure s’absente.

Et parce qu’une image en dit souvent plus que des mots, il faut tout d’abord comme l’explique Laure Sartori dans sa préface, regarder attentivement la photo de couverture (reproduite ci-dessus). Au premier coup d’oeil, on croit y voir une petite fille heureuse de faire un tour de manège. Mais en y regardant de plus près, on voit que son sourire est triste et qu’elle a le bras en écharpe car cassé. Et surtout que les traces sur son oeil gauche sont les “restes” d’un oeil au beurre noir. Autant d’indices des mauvais traitements physiques mais aussi psychologiques infligés par son beau-père, « son bourreau » comme elle le nomme à juste titre. 

Un calvaire vécu jusqu’au coma

Une petite fille qui ne reçoit le soutien d’aucun adulte de son entourage, pas même de sa mère. Elle sera d’ailleurs déchue de ses droits parentaux quelques années plus tard. Alors, lorsque les sévices deviennent trop lourds, son corps lâche et la plonge dans un profond coma dont elle ne ressort que 28 jours plus tard. Un trou noir dont elle ne garde bien sûr aucun souvenir. 

Nous sommes dans les années 80 et à cette époque, on espère que ce n’est plus le cas aujourd’hui, la mère de Laure arrive à faire sortir sa fille prématurément de l’hôpital. Pourtant les séquelles sont importantes. Un tiers de ses cellules nerveuses ont été détruites durant le coma et surtout Laure allait entamer sa rééducation à Garches. Comme Laure l’écrit : « Il m’apparaît maintenant que ma mère m’a récupérée au plus vite parce que Georges (le prénom a été changé par l’autrice NDLR) devait avoir besoin de passer ses nerfs sur moi, de retrouver son souffre-douleur préféré. »

De fait, les coups pleuvent à nouveau. Quelques jours plus tard, il lui casse volontairement le bras et lui ordonne de se taire. Elle n’ira à l’hôpital qu’une semaine plus tard. Alors que les médecins constatent une fracture de plusieurs jours, et s’étonnent de l’arrivée tardive de la mère, ils la laissent toutefois repartir après avoir soigné la petite martyre : « Ce constat écrira Laure et ces remarques furent certainement ma bouée de sauvetage, le signal d’alerte qui allait déclencher tout le reste…mais a priori un signal trop faible pour l’appareil auditif quelque peu atrophié des services spécialisés dans la protection de la petite enfance. » Pire, à peine rentrée à la maison, son beau-père l’oblige à marcher sur des orties. Ce sera son dernier calvaire. Quelques jours plus tard, Laure est placée à La DDASS. Puis en juillet 1984 son père obtient la garde. Le calvaire s’achève. En 1996, son beau-père sera enfin jugé et condamné à 12 ans de réclusion avec l’interdiction à vie d’approcher Laure.

« Je n’ai pas de haine, juste un manque à vie »

Après d’autres difficultés, Laure est une maman de deux enfants, dont une grande fille de vingt ans. Elle n’a jamais douté en revanche sur sa capacité à être une bonne mère : « Oui j’ai eu peur de cela mais les psychologues qui m’ont suivie m’ont toujours dit que le fait d’être consciente de ce risque ferait que je ne le reproduirais pas et c’est ainsi que cela s’est passé. Mes deux filles disent aujourd’hui que je suis une super maman et même leurs copines alors… »

Elle a su aussi ne pas sombrer dans la haine malgré l’enfance massacrée, mais elle reste lucide : « Je n’ai pas de haine, juste un manque à vie ».

Laure Sartori écrit aussi des poèmes depuis ses dix-huit ans pour tenter de mettre ses maux à distance. Des poésies d’une justesse douloureuse comme en atteste l’extrait de celui-ci :

– Je suis une enfant battue dit l’enfant.

– Et moi, je suis conteur dit le conteur.

 – Je ne peux parler de ce que je subis.  

 – Et moi je parle, dit le conteur, et ma parole a fait le tour du monde.

 – Moi, elle n’a fait que le tour de mon corps.

 – Si tu veux, dit le conteur je peux te donner quelques mots à dire, à vivre.  

 – Tu peux me donner tous les mots que tu veux,

     de la Terre jusqu’au Ciel,    

     ma langue se taira et les mots resteront prisonniers dans ma chair.  

     Ils voudront sortir, prendre l’air,  

     mais une chose plus forte qu’un bourreau les empêchera.

    Alors, de rage, je m’agiterai comme s’agite un vent,

    une branche de roseau.    

    Je voudrais dire,    

     mais mon dire se mettra à crier et les mots me cogneront,

      se cogneront aux parois de tout mon moi.  

     Ça fera de l’orage,  

      ça fera du bruit, et tout le monde croira que je râle, que je boude,    

      que je grogne, que je suis mauvaise…                       
                                     

D’un cauchemar à l’autre de Laure Sartori (éditions CREMP).

Disponible au centre Leclerc Cultura de Vierzon ou lors des salons du livre de Vitalité Rurale 

Laure Sartori soutient aussi l’association Les Boîtes à lettres papillon créée pour libérer la parole des enfants victimes de violences

Pour aller plus loin sur Magcentre : Les enfants souffrent aussi des violences conjugales

 

Commentaires

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  1. Merci pour ce bel article qui reflète totalement l’histoire de Laure.
    Beau chemin qu’elle a entrepris ces derniers mois et quels changements !
    Merci à vous. Bravo à elle.

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