Il y a quelques jours, une information alarmante était reprise par la plupart des médias nationaux : d’après une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publiée le 18 octobre 2023, les enfants habitant à proximité de vignobles auraient un plus grand risque d’être atteints de leucémie. Qu’en est-il exactement ?
Par Jean-Paul Briand.
Décoder des études statistiques demande des connaissances mathématiques solides. Dans un article publié par Magcentre, Bertrand Hauchecorne prévenait que « le maniement des pourcentages doit se baser sur des références précises et leur interprétation nécessite un recul et une bonne connaissance du problème étudié ». Un « lien statistique » est souvent interprété à tort comme une relation de cause à effet. Pour exemple, une étude a constaté que 60% des voitures rouges sont impliquées dans des accidents de la circulation alors qu’elles ne représentent qu’une petite part du parc automobile. Il y a bien un lien statistique entre la couleur rouge et le risque d’accident mais il n’est pas possible de conclure que le rouge est la cause directe des accidents.
Des résultats annoncés sans nuances par les médias
Alertés par un agrégat de cancers chez des enfants de Preignac, une commune en Gironde située au milieu des vignes, les pouvoirs publics ont financé l’investigation épidémiologique GEOCAP-Agri basée sur la géolocalisation des cancers pédiatriques. A partir de ce travail, une étude cas-témoins a exploré pour la première fois le risque de leucémie chez les enfants vivant à proximité de douze zones viticoles françaises – dont le Centre-Val de Loire – soumises à un usage intensif de pesticides. Ce sont les résultats de cette investigation scientifique qui ont été annoncés sans nuances par de nombreux médias.
Résider à proximité d’une parcelle viticole n’est pas un facteur de risque
C’est une étude de grande ampleur qui comprend 3 711 enfants de moins de 15 ans atteints de leucémie entre 2006 et 2013 et 40 196 témoins contemporains représentatifs de la population infantile française. Les investigateurs de l’Inserm rappellent que « les enfants entrent en contact avec les pesticides principalement par ingestion de produits contaminés et par inhalation. Les enfants peuvent également être exposés in utero via des expositions professionnelles et domestiques maternelles. La présence de particules de pesticides à l’intérieur et à l’extérieur peut être la conséquence d’un usage domestique, d’une utilisation agricole dans les champs voisins et du transport de pesticides dans la maison par les membres de la famille professionnellement exposés ». Les calculs statistiques des chercheurs démontrent explicitement « qu’aucune preuve d’association entre la proximité des vignes et leucémie » n’a été trouvée. Le fait qu’un enfant réside à proximité d’une parcelle viticole n’est pas en soi un facteur de risque.
Le danger qu’un enfant soit atteint d’une leucémie lymphoblastique reste très faible
Par contre l’étude met en évidence « une légère augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique chez les enfants vivant dans des zones à forte densité viticole ». L’augmentation de ce risque est entre 5 à 10 % pour chaque accroissement de 10 % de la surface en vignes. Ce risque de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) est inégal selon les régions. Dans les régions Pays de la Loire, Grand Est, Occitanie et PACA-Corse il est démontré mais pas en Centre-Val de Loire. Malheureusement, l’étude ne permet pas de dire si cette augmentation du risque qu’un enfant soit victime d’une LAL est en rapport avec l’usage à proximité de produits pesticides ou due à d’autres expositions. Environ 400 LAL pédiatriques sont diagnostiquées chaque année en France, soit 36 pour 1 million d’enfants. Malgré cette « légère augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique », avec ou sans vignes à proximité, le danger qu’un enfant en soit atteint reste très faible.
Ce travail d’investigation écologique conforte l’hypothèse que les pesticides peuvent être en cause dans certaines leucémies pédiatriques, mais il n’est pas suffisamment probant pour interdire l’emploi des pesticides dans les vignobles français. Sans études statistiques longues, complexes et coûteuses, on peut néanmoins affirmer que si le rouge des carrosseries n’est pas la cause directe d’accidents ou de graves maladies, le breuvage éponyme, produit par la vigne, l’est assurément…
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