Conflit israélo-palestinien : sur la guerre des mots et le cynisme politique

Depuis une semaine, le personnel politique français offre un spectacle pitoyable, assisté par une majorité de journalistes visiblement dépassés par les enjeux, mais peu avares en jugements définitifs. [Le billet de Joséphine]


Le point de départ de cette controverse outrancière est la qualification des actes perpétrés par le Hamas samedi dernier, actes abjects, atroces et inexcusables, aucune personne sensée ni aucun politique d’envergure à ma connaissance n’ont nié ou minimisé cela en France, je vous invite d’ailleurs à revenir aux sources des déclarations si vous avez un doute, tant les manipulations sont légion.

Les actes du Hamas, pour être qualifiés pénalement, relèvent soit de la juridiction israélienne, soit des instances internationales. Il faudrait une enquête, une caractérisation précise pour démêler le vrai de l’intox propre à ces moments de l’Histoire et un procès pour comprendre les responsabilités, ce qui a peu de chances d’arriver vu le contexte et le choix du gouvernement israélien de la réponse militaire. Choix qui peut se comprendre vu l’état de l’opinion israélienne, la coloration politique du gouvernement et le passif récent. Et en disant cela, on ne minimise ni l’horreur ni la souffrance, on parle juste de droit.

Le Hamas, organisation politique ou terroriste ?

En tout cas, il est indéniable et assumé ouvertement par le Hamas, qu’il s’agissait d’actes terroristes, c’est-à-dire, visant à terroriser la population civile par une débauche de violence aveugle, par une mise en scène de cette violence et par le message politique qui est délivré, celui d’une vengeance répondant à ce que subit le peuple palestinien depuis des décennies.

Là où la question devient plus complexe, c’est lorsque l’on analyse le Hamas en tant qu’organisation. S’agit-il d’un groupe uniquement terroriste ou s’agit-il d’une organisation politique voire d’une autorité politique qui revendique une légitimité autre qu’idéologique ? L’histoire du Hamas commence dans les années 80 et ses premières actions – terroristes – datent des années 90. Pour autant, le mouvement compte une branche politique qui se structure à partir de 2005, présentant des hommes aux élections municipales et législatives et posant des conditions de discussion avec Israël : reconnaissance d’un État palestinien avec pour capitale Jérusalem et retrait des territoires occupés depuis 1967. Le Hamas remporte les législatives de 2006 sur les territoires palestiniens puis entame un cycle de violences contre des intérêts israéliens et des civils tout en menant une guerre intérieure contre son adversaire palestinien laïc plutôt classé à gauche, le Fatah, avant de signer une réconciliation dix ans plus tard. Depuis lors, malgré une charte qui prône une guerre à outrance contre Israël, les cadres du Hamas naviguent entre gouvernance de Gaza, allusions à une solution à deux états et campagnes d’attentats en Israël entrecoupées de cessez-le-feu plus ou moins respectés.

Signe de la complexité de la question, tous les pays n’ont pas la même qualification du Hamas. Certains le considèrent comme groupe terroriste, d’autres ne jugent que la branche militaire du Hamas comme terroriste, certains affirment enfin qu’il s’agit d’un mouvement politique. En tout cas, l’UE considère la totalité du Hamas comme organisation terroriste depuis 2015.

Pour rajouter à la complexité, se pose la question centrale de savoir si l’on est en situation de guerre entre Israël et tout ou partie du peuple palestinien, une guerre de nature coloniale vu les implications territoriales. Soit on considère que non et qu’Israël est l’objet d’attaques d’un groupe terroriste, soit on considère que oui, et alors le Hamas, groupe belligérant qui jouit d’une certaine légitimité électorale et symbolique, commet des actes terroristes que l’on peut qualifier a minima de crime de guerre. Notons que cette question impacte aussi la perception de la réponse israélienne : s’agit-il de légitime défense et d’opérations de police à la suite d’attentats ou alors Israël, partie prenante dans un conflit, a-t-elle une stratégie militaire ? Pour nombre d’observateurs et de spécialistes, on a bien à faire à une guerre et d’ailleurs, très régulièrement, l’armée israélienne est accusée de crimes de guerre dans son traitement des civils palestiniens, par l’utilisation de certaines armes ou de certaines tactiques.

La sémantique au cœur du débat

Du reste, dans les guerres coloniales, les pourparlers avec les partenaires, ce n’est pas une élégante réunion entre gentlemen, mais un processus entre personnes qui se haïssent et qui doivent trouver des compromis avec le monstre d’hier, sur une ligne de crête ténue pour ne pas être accusés de trahison par les éléments les plus radicaux. C’est d’ailleurs un ultra-orthodoxe israélien qui avait assassiné Yitzhak Rabin en 1995 après que ce dernier ait signé des accords de paix avec l’OLP, organisation terroriste palestinienne devenue interlocutrice obligée.

Voilà donc les enjeux de fond qui sont soulevés à travers la guerre des mots à laquelle on assiste. Guerre des mots qui prend une dimension de politique purement intérieure dans le cas français, l’occasion étant trop belle de se payer une énième fois Jean-Luc Mélenchon et de fracturer la Nupes de l’intérieur et de l’extérieur. De l’extérieur car les libéraux-technocrates de type Macron-Philippe ou les nationalistes-autoritaires du RN ont bien compris que la gauche keynésienne représente un véritable risque, eux qui veulent continuer leur petit bal à l’élection présidentielle ; de l’intérieur car une majorité de cadres et de politicards professionnels du PS, du PCF et d’EELV, après avoir profité l’an dernier de la proposition de LFI aux législatives, entendent inverser le rapport de force, à la suite de leurs 8% à la présidentielle, sans vraiment avoir tiré les leçons du naufrage du hollandisme pour la gauche.

Ainsi, en une émouvante coalition de circonstances, et avec l’aide bienveillante de l’orgueil du cercle proche de Mélenchon, peu enclin à se plier aux injonctions formelles des journalistes trépignant d’entendre le terme de « groupe terroriste », on a assisté à une déferlante de raccourcis et de fake-news aboutissant une nouvelle attaque envers les Insoumis qui, après avoir été islamo-gauchistes l’an passé puis pro-émeute cet été, sont désormais carrément pro-terroristes et soutiens du Hamas. Pourtant, comme expliqué plus haut, Mélenchon a une position assez classique sur la question israélo-palestinienne – plus ou moins la même que Dominique de Villepin d’ailleurs, qui aura subi moins de foudres – et il ne fait rien d’autre que d’appeler à la paix.

La question bonus de toute cette séquence est de savoir si l’on veut des politiques, qui comme Olivier Véran ou Bernard Cazeneuve, sont des spécialistes de l’émotion, des hommages posthumes et des condamnations à la fermeté d’acier – mais à distance – du Hamas, ou si l’on veut des politiques qui analysent les situations en pensant des scenarii de sortie de crise. Qui rend le plus hommage aux victimes ? Les apôtres de la vengeance et de l’escalade en dehors du droit, ou ceux qui entendent que le massacre et la souffrance puissent déboucher sur un processus de paix, pour quitter l’absurde et l’anomie ?

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Commentaires

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  1. On peut aussi s’interroger sur la pertinence de l’usage du mot antisémite dans ce conflit, une large partie de la population palestinienne étant d’origine sémite.

  2. Merci de replacer les choses à leur place. Si comme vous on va à la source des paroles et écrits de Jean-Luc Mélenchon on s’aperçoit que la campagne de dénigrement de LFI est infondée et qu’elle est orchestrée par le pouvoir en place et ses relais médiatiques. Je m’étonne que les dirigeants de la NUPES tombent si facilement dans le panneau, sans doute par rancoeur de ne pas exister suffisamment à l’ombre de LFI. En outre n’étant pas militant de LFI mais citoyen informé
    je ne peux que déplorer la médiocrité du personnel politique français au milieu duquel n’émergent que quelques têtes dont celle de Jean-Luc Mélenchon.

  3. J’étais hier à l’AG de Magcentre où certains ont plaisanté sur la longueur des publications de Joséphine. A l’époque de twitter, des déclarations politiques et journalistiques à l’emporte-pièce, il me semble utile de s’autoriser un peu d’espace en considération de la complexité des choses, c’est l’objet de cet exposé dans lequel un certain rappel analytique du sens des mots rectifie à bon droit beaucoup d’approximations manipulatrices.
    Pour autant, on a quand même un problème à gauche avec Mélenchon et son cercle rapproché. Une déclaration de Jérôme Guedj m’a paru assez éclairante sur ce point. Le socialiste nous suggère que Mélenchon pense que nous serions dans une situation prérévolutionnaire et qu’il conviendrait, dans ce contexte de multiplier les zones de conflictualité (parfois au détriment de l’unité) pour donner de la dynamique au mouvement en cours, alors qu’en réalité, toujours selon Guedj, nous serions dans une situation préfasciste.

  4. Merci pour ce nouvel effort d’analyse, Mme Joséphine.
    L’énorme problème que nous devons résoudre – pour que l’idée de démocratie ne soit pas enterrée par les totalitarismes des pensées uniques – est celui de notre passivité dans la compréhension de la complexité des situations…
    Intox, désinformations, propagandes politiciennes : tout est fait pour hypnotiser les Citoyens.
    Et décidément, pour tenter d’illuminer sa petite chapelle, même “la gauche” se régale à ces jeux pourris.

  5. @ Patrick : merci pour le soutien, entre contributeurs trop longs, on se comprend 😉

    Je suis d’acc avec l’analyse de Guedj sur JLM, même si je ne partage pas son rapport à la Nupes. Je souhaite son départ à la retraite, merci bonsoir et que l’union se construise sur le fond comme sur la forme de manière plus collective et intelligente.

    Mon point, ainsi que celui du billet que j’ai proposé hier à la redac’ c’est que c’est dur à encaisser de mauvaise foi, cette cabale contre JLM et toute LFI, alors que les déclarations et les postures me semblent assez mesurées et en aucun cas un soutien au hamas, et j’avoue qu’en tant que connaisseur de la guerre d’Algérie, ca pose le rapport aussi à la violence dans des guerres coloniales et la nature des organisations avec qui il faut pactiser. Réduire le Hamas à une pure barbarie et le disjoindre des Palestiniens n’est pas une solution satisfaisante à moyen terme.

    Bref, JLM, il faut le corneriser avec intelligence et au nom d’un projet politique, pas le traiter comme ça et l’heroiser en le victimisant.

  6. Joséphine oublie que M. Mélanchon est un leader autoproclamé et qu’il n’y a pas d’élection au sein de LFI, comment peut-on faire confiance à un chef d’un parti qui est organisé comme une secte pour défendre la liberté et la démocratie!

  7. D’un point de vue sémantique et juridique le terme « terrorisme » n’a pas de définition précise en droit international. Aucune définition ne fait consensus. Une personne, une organisation ou un groupe peuvent être qualifiés de « terroriste » par les uns ou combattant de la liberté par les autres. La Convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977 a déterminé une liste d’infractions terroristes mais elle ne propose pas de définition du terrorisme.
    A contrario « les crimes de guerre » sont définis et la Cour pénale internationale (CPI), adopté en juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, donne une liste des crimes punissables par un organe judiciaire international.

  8. On ne peut cautionner les propos de J.L Mélenchon ni ceux de ses seconds couteaux, à savoir Mathilde Panot, Manuel Bompard sur le Hamas et dernière venue Danièle Obono qui elle a été plus ou moins désavouée par rapport aux propos qu’elle a tenus au micro d’une radio toujours sur le Hamas, par un communiqué du groupe LFI.
    Et je vs trouve bien indulgente vis à vis de Mélenchon et consorts.

  9. @ Jacky : je crois que vous avez trop gobé les éléments de langage anti-LFI. J’ai proposé un billet à ce sujet qui sera peut-être publié.

    Vérifiez les communiqués de LFI, les tests de JLM et le programme de l’Avenir en Commun. Je crains que vous tombiez dans le piège, ou alors que vous participiez à la cabale anti-LFI.

  10. Voilà le communiqué officiel de LFI : https://lafranceinsoumise.fr/2023/10/13/israel-palestine-notre-position/?fbclid=IwAR1Y8_y0MQhKZWCwr2ODxqJMpB6aVFoWcLYRxA5Esi3ou2r2f1G4aewvqpM

    Autre point d’interrogation : un opposant de gauche fait un tweet et la classe politique manipule le propos pour lui tomber dessus, mais l’attitude officielle du gouvernement français et de notre représentation à l’ONU, ca ne pose aucun problème ? Drôle de situation.

  11. Evidemment que les actes du Hamas sont intolérables. Qu’on les qualifie d’actes terroristes ou de crimes de guerre ne change rien au sort de ceux qui ont perdu la vie. Le Hamas et Israel sont responsables du carnage auquel on assiste depuis dix jours, mais combien de condamnations de l’ONU sont restées lettres mortes car la communauté internationale n’a pas pris la peine de les faire appliquer. Le conflit Israélo-Palestinien est un cancer qui empoisonne la paix dans le monde depuis la création de l’Etat d’Israel, un acte courageux mais qui devait être suivi d’une organisation fédérale d’un territoire où deux peuples frères allaient cohabiter. Par facilité cette même communauté internationale a détourné
    pudiquement les yeux des drames sanglants et successifs où la raison du plus fort l’a le plus souvent emporté… jusqu’à l’apocalypse

  12. Beaucoup de choses me gênent dans les propos de Mélenchon, depuis longtemps.
    La provocation continuelle ne fait pas avancer les débats . Ses attirances vers le Venezuela, Cuba, la Russie me dégoutent totalement. Il est d’un cynisme qui ne peut pas être une caractéristique des dirigeants de gauche.
    Et là, au sujet du Hamas, il a passé les bornes de la provocation et il le sait , il veut faire éclater la NUPES. Ne sait-il pas que derrière le Hamas , il y a les affreux Mollah d’Iran qui assassinent leur peuple, et derrière l’Iran, encore Poutine, qui ne veut que le chaos. Je ne comprend pas que des gens éduqués, intelligents et généreux comme toi Joséphine, puissent continuer à défendre Mélenchon.

  13. Les masques tombent:
    Voici Joséphine qui nous explique que c’est tellement compliqué qu’on ne peut pas qualifier les attentats meurtriers du Hamas. Or ils doivent être clairement et fermement condamnés tout comme la répression épouvantable et assassine d’Israël.
    Mélenchon touille dans une gamelle
    nauséabonde, espérant comme toujours,
    “diviser” pour régner et rallier les mécontentements.

  14. @ Carlat x2: je crains que vous n’ayez saisi le propos, de toute évidence. Regardez les communiqués de LFI et les propos de JLM. Vous pouvez tout à fait ne pas l’aimer et ne pas vouloir de la Nupes et tenter de barrer la route aux neo-liberaux et au RN au centre gauche, mais peu de chances de dépasser le 10% après l’expérience de Hollande. Vous tombez dans le piège macroniste de l’outrance ou semblez feindre que qui que ce soit de sérieux à gauche défend le Hamac et ses actes.
    Assez hallucinant, quoi que fréquent par ces temps. On apprécie du reste votre prise de position courageuse à propos des civils palestiniens.

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