Le 17 septembre dernier, Carole Canette, présidente du FRAC, Dominique Jakob et Brendan MacFarlane ont célébré les 10 ans du FRAC aux Turbulences à Orléans.
Abdelkader Damani, bien que directeur du lieu depuis huit ans, n’était pas convié à cette cérémonie. Il nous a semblé pourtant intéressant de le rencontrer pour évoquer ce bâtiment à la fois dans sa conception et son usage. Dans un deuxième volet de cette interview, nous aborderons les choix artistiques de ces huit années d’activité à la tête de l’institution.
Abdelkader Damani cl Magcentre
MC : Que dire de ces dix ans des Turbulences ?
AD : Fêter les dix ans du FRAC est une erreur, les Fonds Régionaux d’Art Contemporain ont 39 ans et les FRAC de deuxième génération ont créé un vrai problème par rapport à la notion initiale de “FRAC”.
L’élan des FRAC a été alourdi par des bâtiments avec un cahier des charges qui ne maitrisait pas les notions de musée, donc dès le début, la commande est faussée, l’erreur est déjà dans le cahier des charges, parce que l’on refuse dans les FRAC, heureusement ou malheureusement, d’admettre que nous sommes devenus des musées sans outil, parce que la collection le demande, elle exige le musée.
La collection du FRAC Centre-Val de Loire, en nombre de pièces c’est 50% des collections de tous les FRAC réunis…
Je réclame, et cela a été un point de conflit avec les services de l’état et de la région, que ce FRAC devienne musée ! Il faut que le FRAC Centre-Val de Loire candidate au label musée parce que c’est d’abord un musée, l’utopie des FRAC est terminée : quand vous avez 20.000 œuvres à gérer, vous avez besoin de la compétence des musées.
On a créé un objet qui a couté très cher, qui est très beau, mais on ouvre un bâtiment qui n’a pas pensé sa fonction première à savoir qu’il est au service d’une collection puisque ce n’était pas le projet de la commande et qui ne tient pas du tout compte d’une chose évidente : le climat ! Il n’y a aucune isolation, pas de climatisation, pas d’hygrométrie… Donc là il y a une véritable erreur.
La deuxième erreur de ce bâtiment, c’est qu’il est construit sur un fantasme que l’on appelle utopie mais pas sur la réalité. Quand on dit qu’on ouvre le bâtiment sur la ville c’est faux. A la décharge des architectes, on leur a dit “faites-nous un signal architectural fort”, ils ont fait un signal architectural fort mais ils n’ont pas pris la mesure des choses, parce qu’ils auraient pu dire non pas on ouvre la ville sur l’avenir et on tourne le dos au patrimoine, ils auraient dû penser un bâtiment qui relie le futur au passé, qui soit ouvert des deux cotés.
MC : Que dire de son aspect architectural ?
AD : Le bâtiment est étonnant, détonnant même, mais il n’est pas si innovant. Ces trois turbulences, ce sont les trois canons de lumière de la crypte sud du couvent de la Tourelle de Le Corbusier, l’idée est vieille mais ce qui était voulu, c’était démontrer qu’on peut par le procédé du morphing faire un bâtiment qui en fait n’est pas un bâtiment : c’est un prototype à l’échelle 1. Pour moi, ce n’est pas encore une architecture, c’est un prototype démonstratif pour prouver que l’axe du FRAC de l’architecture computationnelle pouvait être incarné dans un projet possible. Il fallait que le bâtiment témoigne de ce qu’il y avait dans les collections de l’époque. J’ai l’habitude de dire que l’original de l’architecture, c’est le dessin, le bâtiment est une copie souvent ratée du dessin. Le dessin c’est l’original, c’est pour ça que la collection du FRAC a soutenu le dessin de l’architecte, et la maquette.
MG : Comment avez-vous travaillé dans ce bâtiment ?
AD : Le bâtiment est finalement très difficile à l’usage, on a par exemple des fuites d’eau à l’intérieur des turbulences et c’est amusant car dès qu’il pleut il y a des seaux qui apparaissent dans le parcours du musée. Il faut aussi entretenir le bâtiment : l’œuvre d’Electronic Shadow sur la façade, une grande partie des leds sont éteintes alors que l’on a une obligation intellectuelle de la restaurer, ça a été un débat permanent avec les tutelles.
Au niveau de l’utilisation, on avait une circulation en impasse : on entrait, on circulait, puis il fallait faire demi-tour. Surtout on découvrait dès l’entrée, l’intérieur des TURBULENCES qui sont beaucoup plus belles de l’intérieur, il y a une certaine magie, c’est une vraie tente, on les découvrait trop rapidement. Le premier combat a donc été de changer la circulation pour retrouver le fonctionnement classique d’un musée. Le deuxième problème, ce sont les hauteurs de plafond à 2,20 m parfois 3 m, ce ne sont pas des hauteurs d’exposition, on pouvait s’en contenter lorsqu’on expose des maquettes comme des sortes de cabinets de curiosités.
Mais j’avais eu comme commande de la part de François Bonneau, le président de la Région, de ne pas rester concentré sur l’architecture mais aussi s’ouvrir à l’art contemporain : il n’y avait pas, dans la capitale régionale de lieu pour l’art contemporain à la différence de Tours où il y a le CCC OD (centre de création contemporaine Olivier Debré). Mais avec 2 mètres de hauteur, ce n’est pas suffisant. Pas de climatisation, et pas d’hygrométrie, donc il a fallu engager beaucoup de travaux.
Et puis il y a les réserves situées à 10 km, trop petites déjà saturées à mon arrivée en 2015, et on ne peut pas continuer à acheter des œuvres alors que l’on n’a pas de réserve ! Et là encore aucune réponse alors que l’on sait qu’il faut agrandir ces réserves.
MG : Quelle relation y a-t-il entre le FRAC et la ville ?
AD : La première difficulté est d’occuper la cour puisqu’elle est supposée être une place ouverte et on sait que les musées aujourd’hui ont besoin d’un espace extérieur qui permet aux gens de s’asseoir, de prendre le temps, de boire un verre, et donc j’ai fait une tentative. Dans le deuxième projet artistique commencé en 2021, j’avais demandé à la ville de baptiser cette place, place de la Romancière, en demandant d’inscrire ce nom dans la toponymie de la ville avec l’adresse du FRAC, 4 place de la Romancière, et puis travailler ensemble pour que la barrière qui ferme la cour disparaisse et que la cour devienne un domaine public sous la responsabilité de la ville. La municipalité actuelle n’a pas voulu, alors qu’Olivier Carré avait compris la démarche.
Le problème est alors de relier ce bâtiment au reste de la ville et durant la période 2016-2020, il y avait une entente entre le président de région, le maire Olivier Carré et Mélanie Fortier, la présidente du FRAC avec un vrai dialogue qui a conduit la ville d’Orléans à financer la Biennale qui s’est appelé Biennale d’Orléans. On a commencé à relier le bâtiment avec d’autres lieux de la ville en essayant au maximum d’être loin des autres lieux culturels car si vous n’allez que vers ceux qui vous ressemblent, vous n’accueillez que ceux qui vous ressemblent, et moi je suis pour que l’institution culturelle accueille toute la misère du monde. Donc il faut aller là où l’on n’est pas attendu, travailler avec des gens qui ne font pas partie du paysage culturel.
Nous avons aussi ouvert le bâtiment à des actions que nous ne programmions pas comme par exemple les soirées du Planning familial sur la question du féminisme ou du plaisir lesbien, ou les gens du voyage. Et on l’a fait aussi avec le POCTB (le pays ou le ciel est toujours bleu).
Propos recueillis par Gérard Poitou et Jean-Marc Dumas
A suivre…
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