Cris de singe à Vierzon ou encore Nancy, affaire Casoni à l’US Orléans… les polémiques aux relents racistes s’enchaînent dans le sport et notamment le football ces dernières semaines. Pierre Allorant s’interroge sur ce phénomène qui laisserait penser que le sport est inévitablement un refuge pour les idéologies les plus crasses. [Le Billet de Pierre Allorant]
Les récentes déclarations à l’emporte-pièces de l’entraîneur de l’USO foot, l’ancien stoppeur international marseillais Bernard Casoni, venant après l’affaire Galtier lors de son passage à l’OGC Nice, heurtent d’autant plus l’opinion publique que la pratique sportive prône par essence la fraternité des jeunesses au-delà des frontières, les valeurs universelles de l’humanisme. Bref, des poncifs à connotation raciste n’ont, a priori, rien à faire dans le sport, singulièrement en France où, en particulier dans le foot, pratique amateure comme compétitions professionnelles ont servi d’accélérateur à l’intégration des femmes et des hommes issus des vagues migratoires successives.
Universalisme et ultranationalisme
À moins d’un an des JO de Paris, le retour à Pierre de Coubertin s’impose, avec déjà les ambiguïtés, y compris chez ce père fondateur, de la coexistence des idéaux de l’olympisme et du contexte nationaliste de la renaissance moderne des jeux, ouvrant une Belle Epoque marquée par la rivalité mortifère d’alliances militaires et d’empires coloniaux.
Dénoncée par avance avec lucidité par Jean Zay, l’instrumentalisation par le régime nazi de l’organisation des Jeux à Berlin en 1936, magnifiée par la caméra glorificatrice de Leni Riefenstahl, n’a pas été effacée par les exploits du génial sprinter afro-américain Jesse Owens, malgré l’ostensible contrariété d’Hitler. Sans aller jusqu’à ce paroxysme raciste, le sport spectacle donne lieu à des manifestations habituelles d’identité et de fierté nationalistes, des hymnes nationaux à la comptabilité des médailles et des coupes, dont les dictatures et les états totalitaires, mais aussi les jeunes nations en quête de légitimité, sont particulièrement friands.
Pour autant, comme le montre généralement le rugby, le soutien et la ferveur envers son équipe et ses champions sont compatibles avec l’enthousiasme de la fraternité et la joie simple devant les exploits et le beau jeu. Le « french flair » a été apprécié de toute l’ovalie, comme les 3e mi-temps irlandaises, généreusement partagées avec les fans de l’adversaire, peu importe le résultat, ivresse de la victoire ou larmes de la déception.
Le foot, facteur d’intégration ou miroir des refoulements racistes ?
Au XXe siècle, la France a regardé son évolution démographique, la diversité de ses apports migratoires à l’aune des « Bleus ». De Rachid Mekloufi à Raymond Kopa, de Piantoni à Platini, d’Amoros à Zidane, l’équipe de France a été l’une des buttes témoin de la richesse que procure la diversité, à l’instar de Marie Curie pour la science ou d’Apollinaire dans la poésie. La légende a passé sous silence les insultes, les difficultés d’intégration, le déchirement des footballeurs natifs d’Algérie lors de la guerre d’indépendance. Politiquement le Red-Star revendiquait et assumait, comme le PCF et la CGT, cette mission d’intégration des ouvriers immigrés, à côté de certains patronages catholiques. Qui n’a pas vibré aux exploits de Salif Keita ou de la « garde noire » de l’équipe de France – Adams-Trésor – ne pourra comprendre que la « communion » Black-Blanc-Beur du premier titre mondial de 1998 était un aboutissement, sans doute en partie illusoire, et non un point de départ.
Ce caractère intégrateur du sport à tous niveaux n’a jamais, malheureusement, éradiqué les comportements imbéciles, xénophobes, racistes et homophobes, souvent conjugués, dans le public, mais aussi dans les vestiaires et parfois sur le terrain. Y compris chez les jeunes et les amateurs, les insultes ont souvent volé aussi bas que les marques de crampons. Les slogans racistes des pseudo-supporters romains et vrais fascistes, cris de singe et jets de bananes à l’appui, à l’égard des footballeurs d’origine africaine, les insultes sur les réseaux sociaux à l’encontre de Rashford suite à un pénalty raté au dernier Euro, les affrontements meurtriers entre supporters du PSG et du Maccabi Tel Aviv, sont inacceptables et méritent sanction. Que dire alors de ceux, membres de l’encadrement des clubs formateurs, éducateurs sportifs et entraîneurs, dont la mission pédagogique exige l’exemplarité pour les jeunes, et qui voit leur formidable dévouement balayé par la tornade médiatique déclenchée par de rares et inconséquents pyromanes ?
Dupont ? La joie !
Certes, le sport n’est pas à l’abri des maux populistes de la société européenne et du mal-être décliniste d’une nation française qui se laisse trop facilement aller à écouter les voix de la régression. Mais à l’heure où la guerre est revenue tout près de nous, en Ukraine et au Proche-Orient, minant l’Union européenne et notre propre cohésion, comment tolérer qu’un jeu collectif quitte les rives de l’épanouissement individuel, du bonheur d’être ensemble, pour diviser par stupidité ? Le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie ne sont pas davantage des opinions sur les terrains et dans les vestiaires que dans les spectacles de Dieudonné. Ils constituent, aujourd’hui plus encore qu’hier, de graves délits d’incitation à la haine et d’insultes raciales qui fissurent notre capacité de continuer à vivre ensemble.
Par bonheur, on a vu récemment qu’on pouvait s’appeler Dupont et se battre pour que sport et fraternité demeurent de vraies « Valeurs actuelles »… Au-dessus de la mêlée. Pour que notre Joie demeure.
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