L’Économie sociale et solidaire (ESS), une utopie réaliste pour le 21e siècle. C’est le souhait de l’économiste Robert Boyer, invité des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois le 5 octobre. Pourtant, le secteur peine à exister entre l’économie de marché et l’interventionnisme de l’État.
Par Jean-Luc Vezon.
« L’ESS ne s’impose pas, ne parvient pas à envahir l’espace social faute de poids politique. On se tourne vers l’État ou le marché selon le cycle économique », a d’emblée souligné Robert Boyer, figure française de l’économie connu pour être l’un des principaux théoriciens de l’école de la régulation.
Acteur économique de poids, l’ESS représente pourtant 10 % du PIB et près de 14 % des emplois privés. Ce secteur composé des coopératives, mutuelles, associations et fondations compte environ 200 000 entreprises et structure 2,38 millions de salariés.
Pour cet économiste hétérodoxe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cette situation est regrettable dans la mesure où ce secteur est porteur de sens en particulier pour la jeunesse : « Il est propice à la citoyenneté et à l’émergence d’un modèle humaniste. En faisant prévaloir l’homme sur le capital, l’utilité sociale et les services collectifs, en promouvant une gouvernance démocratique et le réinvestissement des bénéfices, l’ESS est une alternative à la concurrence du marché génératrice de pauvreté ».
Interrogé par Laurent Jeanneau, directeur de la rédaction d’Alternatives Économiques (dont la structure juridique est une société coopérative et participative), Robert Boyer a plusieurs explications : d’abord, le fait qu’en France, on se tourne d’abord vers l’État. Ce fut notamment le cas pendant la COVID, où Emmanuel Macron, « le président des startups » est devenu interventionniste.
Ensuite, l’innovation sociale portée par l’ESS serait silencieuse et dans l’incapacité de fédérer ses composantes dont les statuts diffèrent. Enfin, en dehors de quelques politiques dont Benoît Hamon, auteur d’une loi en 2014, peu de partis mettent en avant l’intérêt de l’ESS pour construire une économie plus solidaire.
Le recul de l’autogestion
Grande absente des débats politiques et même de la pensée syndicale, l’autogestion est pourtant une solution. « Le mot semble devenu archaïque, il a disparu du langage de la gauche », constate Robert Boyer en citant plusieurs exemples de systèmes emblématiques d’autogestion (LIP, les kibboutz israéliens et même le système fédéral yougoslave).
Pour que l’ESS ne soit plus une sorte « de béquille du capital » qui reprend de la vigueur pendant les crises, l’économiste auteur de l’ouvrage, Des financiers détruiront-ils le capitalisme ?, invite à créer un nouveau compromis social où l’État serait vraiment au service des citoyens.
Dans son dernier livre, L’Économie sociale et solidaire : une utopie réaliste pour le XXIe siècle ? (Ed. Les Petits Matins), Robert Boyer invite donc à sortir des dystopies pour imaginer une utopie réaliste. Sa pensée complexe intéressera celles et ceux qui estiment qu’il est possible de concevoir un régime socioéconomique construit à partir de la solidarité et s’imposant à la fois au pouvoir politique et à la régulation des marchés. Car « l’intelligence d’une société coopérative de production (SCOP) est bien supérieure à celle de ChatGPT », conclut le conférencier.
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