Patrick Communal, ancien avocat au Barreau d’Orléans, revient sur l’affaire Damani alors que le directeur du FRAC fait l’objet d’une procédure de licenciement pour « insuffisances professionnelles ». Suspendu de ses fonctions en avril 2023, Abdelkader Damani se voit reprocher ses méthodes de travail et de management.
[Tribune de Patrick Communal]
Pour la rentrée littéraire, Laurent Binet publie un nouveau roman : « Perspectives », un polar épistolaire un peu rocambolesque qui se situe dans l’univers florentin de la renaissance et le milieu des arts, de la politique et de la religion. On y découvre combien la création artistique relève d’un travail acharné stimulé par une pulsion personnelle, celle du peintre, de l’architecte ou du sculpteur au côté desquels les apprentis construisent leur propre devenir dans un rapport souvent fusionnel avec le maitre qui les emploie et qui les forme. Le temps ne compte pas, entièrement assujetti au processus créatif. L’artiste est placé dans une étroite dépendance du pouvoir politique qui passe commande et accorde avec largesse des subsides qui consacreront la gloire et la grandeur du prince. Les courants, les styles et les écoles s’affrontent avec violence et cruauté, les coups tordus et les coups de dague agitent les rapports incestueux de l’art et du politique.
Orléans n’est pas Florence mais la lecture du roman n’a pas été sans me suggérer un rapprochement avec les évènements qui précèdent l’éviction programmée d’Abdelkader Damani, directeur du FRAC Centre Val de Loire.
Abdelkader est devenu mon ami et cette amitié m’honore, elle n’a pas obscurci ni troublé le regard que je peux porter sur les circonstances qui l’accablent aujourd’hui. J’observe que les trois personnalités qualifiées qui occupaient un siège au conseil d’administration du FRAC ont démissionné parce qu’elles n’acceptaient pas la façon dont Madame Canette avait traité le directeur de l’établissement. Dans l’attente du départ d’Abdelkader Damani, Madame Canette préside désormais un conseil d’administration dépourvu de personnes qualifiées, ce qui ne manquera pas de lui rendre la tâche plus facile.
Je me souviens d’une ancienne conversation avec une collaboratrice du FRAC qui m’exprimait son émotion de voir des femmes issues des quartiers populaires, certaines portant le hijab, venir en groupe, entre copines, et franchir les portes des Turbulences, ce bel espace d’art contemporain avec lequel elles avaient établi un rapport d’intimité, sans doute après une première visite avec des animateurs lors d’une biennale.
Abdelkader Damani, écrivais-je il y a peu, nous a en effet ouvert grandes les portes de l’art contemporain. Dans une ville telle qu’Orléans, c’est un phénomène singulier. Il a suscité des rancœurs, l’un de ces « cultureux » qui quitta assez vite l’établissement écrira à son patron : « On nous demande de parler aux gueux, à la vulgate, et de renoncer à l’excellence… » Le tournant radical imposé à une institution élitiste, essentiellement axée sur la préparation d’Archilab, flattant un entre-soi culturel à la communication inaccessible au tout-venant, n’ira pas sans conflit, coups de gueule, et suscite des départs, mais les réseaux fonctionnent bien, parmi ceux qui partent, beaucoup se recasent plutôt convenablement, voire en meilleure position. Certains de ces collaborateurs et collaboratrices adressent des messages de remerciements et expriment à l’occasion des sentiments qui semblent bienveillants à l’égard d’Abdelkader Damani.
Pourtant, le 17 juin 2020, un groupe d’anciens salariés adresse un courrier au Conseil d’administration du FRAC mettant en cause ses orientations et ses méthodes de travail, son mode de management ayant occasionné de nombreux départs de la structure. Le 26 juin 2020, un autre groupe de salariés en activité au FRAC dénonce la démarche, la conteste et manifeste sa solidarité avec le directeur. Finalement, le Conseil d’administration ne considérera pas ces attaques justifiées et décidera, à l’unanimité, le renouvellement du contrat d’Abdelkader Damani. Pour autant, nous sommes à Orléans et la rumeur se répand, au Conseil régional notamment, chez les élus et des fonctionnaires proches du Parti socialiste. Il se raconte, sous le sceau de la confidence, qu’Abdelkader Damani harcèle ses collaborateurs. Lorsqu’elle prend la présidence du FRAC, Carole Canette ne semble pas s’en inquiéter, en dehors d’un passage éclair lors de la manifestation de 2022 du « printemps de la romancière » elle n’aura pratiquement aucun contact significatif avec les équipes du FRAC jusqu’aux événements récents et jamais elle ne s’entretiendra avec le Directeur du fonctionnement interne de l’établissement.
En janvier 2023, Abdelkader Damani a une altercation verbale assez vive avec un cadre du FRAC. L’enquête interne suggérera que ce personnage qui fait l’objet d’un signalement pour harcèlement et d’une enquête de l’inspection du travail, dont le service connaît un turn-over important, et qui, selon les dires de certains salariés, critique régulièrement le directeur ainsi qu’un certain nombre de ses collègues, doit faire l’objet d’une attention particulière.
À l’issue de cette altercation, ce cadre prend rendez-vous avec la Présidente qui le reçoit et l’écoute mais elle ne cherche pas à connaître le point de vue du directeur ou celui de l’équipe du FRAC. Pour l’heure, c’est Abdelkader Damani qui demande le 21 mars par message téléphonique à rencontrer la présidente, cette rencontre assez surréaliste a lieu le même jour. Carole Canette indique qu’elle va demander au Conseil d’administration, la suspension du directeur, et ouvrir une enquête interne. Elle ajoute simplement que cette décision fait suite à une alerte récente qui fait écho à d’autres événements antérieurs à sa nomination comme présidente mais que désormais seule la situation actuelle du FRAC la préoccupe et qu’elle ne tiendra pas compte des anciens salariés.
Malgré les tentatives de demandes d’explication sollicitées par Abdelkader Damani qui voudrait savoir ce qu’on lui reproche, Carole Canette se dérobe et refuse la discussion, le ton est froid, sans émotion, empreint d’une sécheresse bureaucratique. Abdelkader Damani propose plusieurs fois de démissionner paisiblement, sans éclat, mais en l’absence de réponse de la présidente, il ajoute que s’il doit voir sa réputation mise en cause, il se défendra.
C’est donc un cabinet d’avocat travaillant par ailleurs pour le Conseil régional qui est désigné, ce qui n’offre pas nécessairement les meilleures garanties d’indépendance, les salariés sont convoqués individuellement sur un mode assez comminatoire, il leur est précisé que l’avocat menant l’entretien n’est pas tenu à leur égard au secret professionnel couvrant les échanges entre un avocat et son client. En revanche les avocats pourront communiquer à leur client, en la circonstance la présidence du FRAC, et aux autorités de poursuite, la teneur des propos échangés au cours de l’entretien, lesquels pourront être utilisés dans le cadre d’une procédure disciplinaire, civile, voire pénale. C’est très violent pour les agents du FRAC dont beaucoup ont le sentiment d’être les otages d’un conflit qui les dépasse.
Ce que je peux écrire ici relève d’une tribune publiée par Magcentre, c’est un point de vue nécessairement subjectif mais l’amitié ne me confère pas un titre d’avocat, je n’envisage donc pas de répondre point par point aux éléments relevés par cette enquête, je suis convaincu qu’ils pourront être réfutés par les défenseurs d’Abdelkader Damani et que le doute trouble déjà ceux qui ont la charge de l’accusation. En effet, l’enquête ne décèle pas d’éléments constitutifs de faute professionnelle, c’est pourquoi on va réintroduire dans ce dossier les témoignages à charge d’anciens salariés sans prendre en considération ceux qui pourraient être à décharge. Faute de pouvoir mener une procédure de licenciement pour faute professionnelle, c’est donc un licenciement pour insuffisance professionnelle qui est envisagé par la présidence du FRAC. La solution fera sourire tous les avocats de droit social quand on sait qu’en général, l’insuffisance professionnelle est décelée pendant une période d’essai ou en tout début de contrat, la tâche sera rude pour les avocats de Madame Canette de plaider qu’on a découvert les insuffisances professionnelles du Directeur du FRAC après huit années passées dans l’établissement et un contrat de travail renouvelé à l’unanimité du conseil d’administration en 2021.
Si je ne suis plus avocat, l’amitié m’amène à hurler de colère face à cette façon de jeter l’honneur d’un homme aux chiens au regard de ce que je sais d’une procédure équitable et de l’honnêteté intellectuelle et morale qui devrait inspirer la fonction politique.
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