Le 24 septembre prochain, un peu plus de 1 500 grands électeurs désigneront les trois futurs sénateurs de la Touraine. On pourrait croire à un renouvellement vu que les sortants Babary (LR) et Louault (UDI) partent à la retraite et que la troisième sénatrice sortante, Raimond-Pavero (LR), n’est pas vraiment en position d’être réélue. Pourtant, à y regarder de plus près, cette élection est tout sauf un renouvellement, plutôt une sorte de condensé de ce que la Touraine et le jeu partisan donnent de pire depuis 40 ans.
Par Joséphine
À droite, il s’agit d’un énième épisode de la division ancestrale, structurée autour de l’opposition dans les années 60, 70 et 80 entre M. Jean Royer et M. André-Georges Voisin. Ces deux figures incontournables ont exacerbé la rivalité entre Tours et le reste du département, dans un contexte d’exode rural et de très forte croissance urbaine, rejouant à des fins personnelles la fable de La Fontaine, le rat de ville et le rat des champs. Depuis dix ans, cette opposition est incarnée d’un côté par M. Jean-Gérard Paumier, grand timonier de la frange rurale conservatrice, catholique soft et gestionnaire à la papa ; de l’autre côté par M. Philippe Briand – première fortune du département et magnat de l’immobilier – qui représente la frange urbaine, affairiste et libérale anti-fiscale.
Paumier à la manœuvre
Arrivant à un âge respectable et ayant habilement remporté la présidence du Conseil départemental d’Indre-et-Loire en 2021, c’est Jean-Gérard Paumier himself qui se présente aux Sénatoriales et entend briller sous les ors parisiens pour sa fin de carrière. Cheminant depuis 30 ans en Touraine, ex-directeur général des services du CD37, ex-maire du très huppé Saint-Avertin dont il est encore conseiller municipal, conseiller métropolitain, conseiller départemental dont il a pris la présidence en 2017, Paumier est également au carrefour de toutes les carrières des membres de LR du coin. La jouant modeste après avoir longtemps fait semblant d’hésiter, jurant ses grands dieux que la haute chambre ne l’intéressait pas car il est passionné de terrain, de ronds-points et de Touraine, il s’est imposé fin 2022 comme tête de liste LR, prenant la suite de Serge Babary, un peu poussé vers la sortie si l’on en croit certains cadres locaux.
Manœuvre d’autant plus savoureuse qu’en 2017, M. Paumier n’a eu de cesse de critiquer ses camarades qui quittent leur mandat en cours pour partir au Sénat, ce qu’il s’apprête à faire désormais. Sur les starting-blocks depuis des mois donc, il a multiplié les promesses aux élus des communes rurales – futurs grands électeurs – et les petites courtoisies à Noël. Qui de son buste de Marianne pour sa mairie, qui de son livre dédicacé, qui de sa subvention exceptionnelle pour maintenir les activités sportives scolaires si fédératrices. Champion incontesté des réseaux, Jean-Gérard Paumier entend définitivement tuer le jeu dans quelques jours avec la venue du Président du Sénat, Gérard Larcher, descendu de Paris pour le soutenir et faisant passer le message à tous les élus du coin : seul Jean-Gérard a l’oreille et les faveurs du patron de l’auguste assemblée. Cela étant dit, que les Tourangeaux se rassurent, il y a peu de chances pour que Paumier s’efface du Conseil départemental, tant il semble évident que c’est lui qui continuera d’influer fortement sur la collectivité en désignant en off son successeur. Selon les rumeurs, et après que Cédric de Oliveira, jeune maire de Fondettes et figure montante de la droite ait manifesté son désintérêt pour le poste, ce serait Olivier Lebreton, membre de l’opposition LR à la Ville de Tours, qui se verrait bien en haut de l’affiche. Mais il semble aux dernières nouvelles que Nadège Arnault, actuelle première vice-présidente du CD37 tiendrait la corde, meilleure connaisseuse des dossiers et offrant l’avantage de ne pas faire trop d’ombre aux ténors de la droite qui attendent de voir comment se passera l’après-Paumier.
Louault sur la rampe de lancement
Face à Paumier, à droite, on trouve une liste menée par Vincent Louault, fraîchement passé à Horizons – le groupuscule de notables qui doit servir de machine de guerre à Édouard Philippe pour 2027 -, avec le soutien discret et bienveillant de… Philippe Briand, un peu perdu stratégiquement face à l’agonie de LR, et d’Henri Alfandari, magnat des cliniques privées du groupe Saint-Gatien et véritable patron d’Horizons dans le coin. Vincent Louault donc, il est maire d’un petit village du sud-Touraine et conseiller départemental mais il aime aussi à se mettre en scène comme gentleman farmer, juché sur son tracteur d’où il tutoie le bon sens rural. Du reste, il cumule les casquettes d’entrepreneur et de gérant avec les revenus de mandats et de postes dans des agences et structures publiques, totalisant en 2020 selon sa déclaration à la HATVP des revenus supérieurs à 7.500 euros nets mensuels. Il se trouve également être le fils du sénateur sortant, Pierre Louault. Et oui, ainsi vont les choses en Touraine, terre de rois et de dynasties. Malgré une communication plutôt lisse qui se veut dynamique et moderne, certains de ses opposants pointent du doigt un caractère assez autoritaire et des positions pas des plus progressistes.
Enfin, le RN est également présent à travers la candidature du médecin de ville Lionel Béjeau, ex-LR membre de la majorité municipale de Tours entre 2014 et 2020, passé à l’extrême-droite il y a quelques années, déçu par la mollesse de sa famille politique. Fidèle à leur stratégie de personnification outrancière et ayant à gérer le manque de notoriété et de charisme des cadres locaux, le RN a pondu un document de campagne où l’on voit un photo-montage de Béjeau flanqué de… Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Les inconséquences de la gauche
À gauche, rien de nouveau sous le soleil de la division. On retrouve finalement deux listes après des mois de psychodrame où il a été tenté, à l’échelon local, de proposer une seule liste NUPES, sans succès, chacun accusant désormais les petits copains d’avoir fait échouer les négociations. L’enjeu étant d’autant plus sensible qu’avec la victoire d’Emmanuel Denis à Tours aux municipales de 2020, la gauche dispose d’un joli lot de grands électeurs dans le 37 qui l’assurent quasi-mécaniquement d’envoyer un de ses représentants au Palais du Luxembourg.
Durant cette phase de négociations début 2023, le PS, analysant la coloration politique très modérée du département, s’est posé en tête de liste naturelle afin de rassembler le plus possible, même s’il est probable que cette attitude entreprenante s’appuie également sur des accords signés en coulisses dès 2020 lorsque le PS avait rallié la candidature d’Emmanuel Denis à Tours pour les municipales. De son côté, EELV, qui a donné le seul député NUPES élu à l’Assemblée nationale dans le département et qui tient la mairie de Tours, aurait pu vouloir rafler le poste de sénateur pour ancrer définitivement sa prééminence dans le coin, mais ils ont volontiers laissé la priorité aux socialistes. LFI, enfin, forte des scores de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle dans le département, réclamait une place de choix. En réalité, ces négociations locales ont plutôt relevé du poker menteur, car tout le monde avait saisi que Pierre-Alain Roiron (PS) était en pré-campagne depuis l’automne 2022 et que les décisions d’investiture se prendraient à l’échelon national après négociation entre les différents appareils, sans consulter vraiment le terrain.
Au national donc, LFI, non représentée au Palais du Luxembourg, entendait jouer la carte de la NUPES et demandait à ses partenaires un seul poste éligible parmi les 40 places au Sénat qui selon toute probabilité reviendront à la gauche le 24 septembre. Mais visiblement, certains caciques du PS dont Patrick Kanner, élu PS très influent au Sénat, ne voulaient pas entendre parler de la NUPES et de LFI dans la haute chambre. Olivier Faure, en posture très délicate à la tête du PS et ne disposant que d’une très faible marge de manœuvre a dû se plier aux revendications de ses camarades les plus centristes, sous peine d’être mis en minorité dans son propre parti. EELV et le PCF, de leur côté, ont pris la roue du PS, dans le dos de LFI, pour négocier des investitures qui permettront de renforcer ou du moins sauvegarder leur position au Sénat, mettant de côté la NUPES et les accords dont leurs membres ont pu bénéficier l’an passé pour rentrer à l’Assemblée nationale. Résultat ? Alors que LFI avait l’impression d’avoir été assez généreuse avec ses partenaires de la NUPES aux législatives de 2022, permettant au PS, EELV et le PCF d’obtenir un nombre honorable de députés après le naufrage de Hidalgo, Jadot et Roussel à la présidentielle, voilà les Insoumis privés d’un seul représentant au Sénat. La réaction ne s’est pas faite attendre, la direction nationale de LFI a demandé à ses membres de présenter des listes dans tous les départements, c’est ainsi qu’a été montée en toute vitesse en Touraine la candidature de Fanny Puel, conseillère municipale de la majorité à Tours, seule femme tête de liste et seule candidate avec Lionel Béjeau à avoir un métier dans la vraie vie, en l’occurrence psychiatre.
Cette configuration ne fait que confirmer les tensions internes dans les formations de gauche entre partisans ou opposants de la NUPES, et ce malgré les sondages qui donnent plus de 80% des électeurs de gauche favorables à l’union, malgré les risques de voir le RN prendre le pouvoir en 2027 et malgré les scores honorables de la NUPES qui a pu limiter la casse aux législatives de l’an passé.
Pierre-Alain Roiron, l’union mais pas trop
Dans ce contexte, Pierre-Alain Roiron, a su manœuvrer pour ne pas trop se mettre à la faute depuis le printemps 2022. Pro-NUPES du bout des lèvres l’an dernier, il avait fait le minimum syndical lors des législatives et il a su convaincre ses camarades de parti de voter pour sa candidature au Sénat, contre celle de Jean-Patrick Gille, membre de la majorité Union de la Gauche à la ville de Tours et ancien lieutenant de Jean Germain, bien plus ouvertement pro-NUPES. Roiron jure bien entendu à qui veut l’entendre, la main sur le cœur, qu’il est unioniste car il sait qu’il a besoin des grands électeurs de la ville de Tours, et il entretient dans sa communication l’idée qu’il a forgé une liste de diversité pour les Sénatoriales. Mais il reste un représentant du PS à l’ancienne, celui des barons locaux et des professionnels de la politique, tendance cumul, comme le montre son CV depuis quinze ans : mairie, communauté de communes, pays (regroupement de com-com), conseil régional, missions au ministère de l’Économie, administration de structures publiques et syndicats mixtes… Toujours est-il que cet hyperactif qui brigue désormais une place au Sénat, a longtemps travaillé une image lisse et consensuelle, en contradiction avec une réalité disons plus nuancée et clivante.
Frère de l’ancienne élue socialiste Claude Roiron, adjointe de Jean Germain et un temps présidente du Conseil départemental d’Indre-et-Loire avant d’être lâchée par ses petits camarades, Pierre-Alain a commencé la politique très jeune. Il chemine inlassablement depuis lors, débutant sa carrière par plusieurs échecs avant d’être intronisé à Langeais sur initiative de sa sœur. Pierre-Alain Roiron depuis lors semble mener sa barque de manière solitaire, en centralisant les décisions sur les recrutements ou les arbitrages politiques, comme l’évoquait d’ailleurs la presse en 2019 quand des élus de l’opposition et de la majorité à Langeais s’étaient étonnés de ne pas être au courant de la situation de l’endettement de la commune, Monsieur le Maire n’ayant pas jugé utile de leur faire suivre les infos sur ce sujet.
Ses adversaires à Langeais évoquent également une présence en pointillés de M. Roiron en mairie, compliquant parfois le travail des services, délaissant les suivis de chantiers ou des budgets. À plusieurs reprises ces dernières années, il a écarté ses soutiens politiques pour éviter d’avoir à partager le pouvoir, ce qui l’a isolé dans son propre camp et lui a fait perdre son influence dans la communauté de communes. Mais régulièrement habile et jouant sur plusieurs tableaux, il retombe sur ses pattes et a été réélu deux fois dans la ville qui est devenue son fief, Langeais.
Pierre-Alain Roiron incarne donc un type de trajectoire qui ne semble pas enchanter tous les élus de gauche de la Touraine, y compris de son propre parti. Nombreux sont ceux qui, en off, avouent ne pas vouloir voter pour lui, notamment à Tours où le maire Emmanuel Denis et le député Charles Fournier le soutiennent a minima, respectant les consignes nationales d’EELV, même si en coulisses ils ne semblent pas très à l’aise avec cette stratégie anti-NUPES, eux qui doivent leur élection à un processus unioniste.
D’ailleurs, ce tropisme anti-NUPES se retrouve dans la composition de la liste de Pierre-Alain Roiron, complétée par des anti-unionistes notoires. On remarque en effet en deuxième position Sabrina Hamadi, ex-conseillère régionale désormais conseillère départementale EELV qui avait été élue avec un binôme PS avant de s’empresser de former un groupe écologiste autonome au Conseil départemental, contre ses engagements pendant la campagne. En troisième position, on retrouve Michel Soulas, élu communiste d’opposition de Saint-Pierre-des-Corps qui avait perdu les municipales en 2020 en ne réussissant pas à faire l’union, la gauche et l’écologie s’étant dispersés en… quatre listes au premier tour. Du reste, à l’époque, Michel Soulas avait signé un accord avec LFI au second tour mais pas avec le PS, comprenne qui pourra.
Signe ultime de ces manœuvres d’appareil, les bruits de couloir au conseil régional, donnent Roiron démissionnaire de sa mairie – tant pis pour les gens qui l’ont élu il y a trois ans pour un mandat de six ans – car François Bonneau le pousse à rester conseiller régional. Pourquoi ? Car si Roiron démissionne de la Région, il laissera sa place mécaniquement à un Insoumis, et que cela est hors de question pour Bonneau qui entend punir LFI de présenter des listes autonomes aux sénatoriales. Ambiance.
Gène à tous les étages
De leur côté, les candidats LFI, qui font campagne sur le programme de la NUPES, sans expérience et sans vraiment de notoriété, se sont lancés très tard dans la bataille, attendant l’éventualité d’un accord de dernière minute au national. Ils sont de toute évidence gênés par le contexte, ayant à naviguer entre la volonté de porter la parole unioniste, soutenus par pas mal de grands électeurs de gauche qui ne veulent plus du socialisme à la papa, et la peur de diviser la gauche et de faire gagner les trois postes de Sénateur d’Indre-et-Loire à la droite, ce qui les poserait en fossoyeurs de la gauche tourangelle. A un an des européennes où LFI pousse à l’union et à mi-mandat à Tours, laboratoire de l’union des gauches municipales, on comprend le casse-tête et le choix d’une candidature de témoignage.
En tout cas, les élus de gauche dans leur ensemble et une partie non-négligeable des cadres et militants ont de nouveau loupé une occasion de structurer et solidifier la NUPES, aucun unioniste n’ayant même voulu mettre la pression à sa direction nationale pour forcer un peu les choses. À croire que l’urgence climatique et sociale ainsi que le risque du RN à l’Élysée dans quatre ans sont moins aigus que la lutte pour obtenir sa petite place à soi.
Donc voilà la situation : un baron LR en pré-retraite sous les ors de la république, un ambitieux Horizons qui hérite du poste de papa et se pense à l’aube d’une grande carrière et un socialiste de l’ancien monde, voilà selon toute probabilité les trois futurs sénateurs d’Indre-et-Loire. Ainsi vont les choses en Touraine.
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