Marie Amachoukeli dresse le portrait d’un couple profondément émouvant, une nounou et une enfant pétillante. Loin de tout cliché, Ama Gloria fait pleurer par son intensité et par la qualité de jeu des deux actrices. Des séquences animées remarquables complètent ce très beau travail d’une jeune cinéaste aux diverses compétences.
Par Bernard Cassat
Ilça Moreno Zego en Gloria et Louise Mauroy-Panzani en Cléo. Photo Pyramide Distribution
Certains enfants, par les hasards de la vie, sont élevés plus par une nounou que par leur mère. Ce travail implique non seulement un investissement de temps et de compétences, mais aussi beaucoup d’affection. Qui peut aller jusqu’à une relation d’amour parental. L’employée devient pour l’enfant la mère, que la vraie mère soit absente ou pas. Mais comme tout employé, la nounou a une vie propre qui l’oblige parfois à quitter son emploi. Qu’advient-il alors de tout l’amour partagé ?
Trois lieux dont un imaginaire
C’est cette question déchirante qu’aborde Marie Amachoukeli dans son dernier film Ama Gloria. Scénariste et réalisatrice, elle a aussi beaucoup travaillé dans l’animation, et met toutes ses compétences en œuvre dans son dernier film. Trois lieux distincts et bien délimités structurent le récit. La France, où Gloria et Cléo vivent quasi comme mère et fille, la vraie mère étant totalement absente et le père travaillant beaucoup. Et le
Cap-Vert, où Gloria est obligée de rentrer et où Cléo vient la rejoindre pour les vacances d’été. Et des moments dessinés, le monde intérieur de Cléo, ses pensées, ses rêves, ses angoisses aussi. La réalisatrice a beaucoup travaillé dans le cinéma d’animation ( I want Pluto to be a planet again a été nommé aux Césars 2018 de l’animation). Pour Gloria, avec Pierre-Emmanuel Lyet, un ami, illustrateur et auteur jeunesse, ils se sont donné comme référence Peter Doig et Félix Vallotton, des peintres coloristes remarquables. Et en effet, sur des fonds pastel et doux éclatent des éruptions volcaniques ou de sombres profondeurs marines.
Les gros plans qui collent à la peau pour suivre la relation charnelle
Pour éviter les clichés caricaturaux, la réalisatrice ne s’égare pas dans la psychologie. Elle travaille beaucoup sur le hors champ, ne donnant à voir que les personnages avec des gros plans très expressifs, peut-être un peu trop pour la fatigue visuelle. Du Cap-Vert, par exemple, on ne verra quasi rien, sauf des rochers dans la mer et quelques bouts de paysages banals derrière une vitre de voiture. Récit très efficace, qui colle aux personnages en gros plan et les laisse exprimer à plein cet amour partagé, les mains données, les doigts qui caressent, les bras qui serrent et surtout les visages.
Une relation intense. Photo Pyramide Distribution
Un couple d’actrices admirables
Pour cela, le choix des deux protagonistes a été capital. Ilça Moreno Zego en Gloria est magistrale. Pour ce premier rôle au cinéma, elle crève l’écran. Sachant allier la douceur et la rigueur de son personnage, la douleur rentrée de la séparation et son entregent bénéfique, elle arrive à faire passer des sentiments profonds avec une grande simplicité, une évidence que seuls peut-être des acteurs non professionnels réussissent à obtenir. Bien que jeune, son rôle de matriarche dans la famille est tout à fait crédible. Quant à Louise Mauroy-Panzani, la Cloé de l’histoire, elle correspond tout à fait aux choix de la réalisatrice. Adorable mais pas trop, elle exprime beaucoup par le regard mais aussi par un sourire craquant. Elle vit intensément les moments de détresse du personnage, la séparation puis la confrontation avec les autres enfants, les « vrais », de Gloria. Et rayonne dans les instants de bonheur, quand elle se jette dans les bras de Gloria à l’aéroport, par exemple. Moments intenses aussi quand elle repart vers Paris, vers une autre nounou. Elle perd sa mère une deuxième fois. Une séquence charnière la montre devant la tombe de la mère de Gloria, dont le décès a précipité le retour. Ce décès devient le symbole universel de la mort de la mère, qu’elle soit réelle ou de remplacement, la fin de cet amour si puissant des enfants envers leurs parents.
Intense émotion loin de toute mièvrerie. Marie Amachoukeli a elle-même eu un rapport maternel avec une nounou portugaise, à qui d’ailleurs elle dédie son film. Elle sait donc de quoi elle parle, et le dit magnifiquement.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : “Anatomie d’une chute”, une brillante palme d’or