Chamboule-tout de préfets en région Centre Val de Loire il y a quelques jours : quatre des six hauts représentants de l’État sont sur le départ, et ce six mois après l’exfiltration express de la préfète d’Indre-et-Loire Marie Lajus. Y aurait-il un souci avec la préfectorale dans la Région ?
Par Joséphine
On a appris quelques jours après l’officialisation de la valse des hauts fonctionnaires, que la préfète de région, Régine Engström, elle aussi poussée vers la sortie, est renvoyée par la Justice devant un tribunal correctionnel pour des soupçons de prise illégale d’intérêts dans une affaire immobilière dans le Loiret. Presque au même moment, et de manière bien plus anecdotique, le grand baron LR de Touraine, Philippe Briand, lâchait une petite phrase un peu passée inaperçue dans la Nouvelle République. M. Briand, au cours d’une saillie verbale dont il a le secret, qualifiait, sans la citer, l’ex-préfète Marie Lajus « d’erreur de casting » en Indre-et-Loire. Mme Lajus, souvenez-vous en décembre dernier, est la préfète que le Canard Enchaîné a donné comme débarquée par le ministère de l’Intérieur pour son attitude très légaliste et pro-défense de l’environnement dans le traitement d’un dossier de permis de construire d’un incubateur hi-tech près d’Amboise. Plusieurs élus qui soutenaient le projet et qui n’ont pas apprécié l’affront auraient obtenu sa mise au placard qui a duré des mois. Et visiblement, Philippe Briand l’avait encore un peu en travers de la gorge pour oser une telle sortie médiatique. Ambiance.
Table rase en Région Centre-Val de Loire
Le gouvernement semble donc faire table rase en région Centre, faisant un peu le ménage et tentant de rassurer les élus locaux de droite, choyés par un Emmanuel Macron souvent accusé d’être trop parisien et coupé du terrain. En Indre-et-Loire, c’est donc un très rassurant ex-officier parachutiste trouvé au ministère des anciens combattants qui a succédé à Mme Lajus. Non-événement que cette valse direz-vous, sachant que le destin de ces lieutenants de l’État est d’être des pions amovibles. Mais ce qui sort de l’ordinaire, c’est le profil d’un des nouveaux préfets, Thibault Lanxade, nommé dans l’Indre à la place de Stéphane Bredin, médiatisé il y a peu par sa gestion très – trop ? – douce d’un Teknival pourtant interdit, attitude qui a pu déplaire en haut lieu en ces temps d’incantations de retour de l’autorité.
M. Lanxade présente, c’est le moins que l’on puisse dire, un profil atypique : il débarque dans le cercle très fermé de la préfectorale sur nomination spéciale du gouvernement, lui qui est actuellement… PDG du groupe Luminess, spécialisé dans la transition numérique. Rien d’anormal dans le processus car les postes de préfets ne sont pas uniquement octroyés à des énarques et il est tout à fait possible que le ministre de l’Intérieur puisse nommer qui bon lui semble, dans la plus pure tradition napoléonienne, perpétuée sous la Vième République. Mais le message est tout de même clair.
Thibault Lanxade a 52 ans, il est né à Paris. Son père est un amiral et diplomate, un temps chef d’État Major des Armées, au moment des opérations françaises lors du génocide Rwandais au début des années 1990, sous Mitterrand. Sa mère est une aristocrate, administratrice d’une association d’œuvres sociales. Son oncle est également un officier, haut fonctionnaire et diplomate. Sous ces meilleurs auspices, Thibault fait ses études au très huppé collège Stanislas à Paris avant de rejoindre le lycée naval de Brest, dans les pas de son père. Finalement, il rejoint l’ESCP Business School après le Bac, en 1994, et obtient un master en management quelque temps plus tard. Il réalise des stages chez Butagaz et Shell, à la direction de la stratégie.
En 2004, à même pas 35 ans, il devient PDG de la société Gazinox, leader français des tuyaux et accessoires pour le gaz. En 2005, il fonde et préside le syndicat européen de la connectique gaz, certainement pour structurer le lobbying de l’activité de sa boîte auprès des institutions européennes.
Le Think Tank “Positive Entreprise”
En 2006, Lanxade rentre au Medef et fonde son Think-Tank « Positive Entreprise » qui entend « renforcer le lien entre jeunesse et entrepreneuriat », plaidant pour une interconnexion plus intense entre l’école et le monde de l’entreprise. En 2008, il cofonde et préside en établissement de moyens de paiement – Aqoba – et ce jusqu’en 2014, date à laquelle la boîte connaît quelques turbulences, avec une enquête mandatée par la Banque de France, procédure restée sans suites. Revenons en 2008, cette même année, Lanxade est nommé par Christine Lagarde pour intégrer un comité ministériel spécialisé dans la diffusion de la culture économique, reconnaissance des activités de son think tank. En 2009, Laurence Parisot, alors présidente du Medef, fait prendre du galon à Lanxade qui est chargé de formuler 16 propositions pour aider les PME. En 2010, Thibault Lanxade refait le coup du lobbying et fonde l’association française des établissements de paiement et de monnaie électronique, qu’il préside pendant deux ans, là aussi pour peser dans ce secteur émergeant et favoriser le business de sa boîte. Il songe la même année à se présenter contre Parisot qui veut rempiler à la tête du Medef mais il renonce au dernier moment, signe d’une certaine habileté et de patience, qualités indéniables pour qui a de l’ambition.
En 2013, Lanxade prend la tête du comité outre-mer du Medef et se présente à la présidence du syndicat des patrons avant de se rallier au candidat Pierre Gattaz. Ce dernier, devenu président du Medef, nomme Lanxade responsable de l’influente commission PME de l’organisation patronale. En 2014, il devient administrateur du groupe Jouve-Flatirons USA et administrateur de la division française de la boîte tout en portant dans le cadre du Medef un programme Défense-entrepreneurs, petite réminiscence familiale. En 2015, Lanxade est élu président du conseil d’administration et du comité stratégique du Fonds PME-emplois durables crée par les mastodontes AG2R la Mondiale et Klesia, excusez du peu. La même année, toujours le vent en poupe, il prend la vice-président du Medef, en charge des PME. En 2017, Thibault Lanxade devient PDG du groupe Jouve – qui est baptisé Luminess en 2020 -, spécialisé dans le numérique, la data et l’accompagnement des entreprises vers la transition numérique.
En 2018, Lanxade change de terrain de jeu avec le Macronisme triomphant et il quitte la direction du Medef. En 2019, il est nommé par Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud « ambassadeur à l’intéressement et à la participation » afin de promouvoir la loi Pacte, pour un meilleur partage de la valeur dans les entreprises (sic). La même année, il succède au milliardaire Alain Mérieux, par ailleurs figure du RPR lyonnais, comme président du fonds de dotation du centre de recherche biomédicale Clinatec, situé à Grenoble. En 2021, Lanxade publie ce qu’il présente comme un manifeste pour le dividende salarié, outil qui permet selon lui un meilleur partage de la valeur dans les entreprises, idée qu’Emmanuel Macron s’engage à reprendre lors de sa campagne de 2022. Début 2022, Thibault Lanxade est devenu également président du conseil d’administration de la caisse nationale des URSSAF, pas mal pour le petit gars parti d’une boîte de tuyaux de cuisinière 20 ans plus tôt.
Dans le civil, Thibault Lanxade est marié à Chrystel Le Sourd, fille d’un ponte de l’industrie pharmaceutique et d’une politicienne picarde. Le nouveau préfet de l’Indre a donc pour belle-mère Caroline Cayeux, un temps ministre d’Emmanuel Macron en 2022 avant d’être débarquée au bout de quelques semaines pour des soupçons de sous-évaluation de sa fortune – estimée par Libération à 25 millions d’euros – et de fraude fiscale. Il a trois enfants. Il est chevalier de la légion d’honneur depuis 2019. Il est l’auteur d’une petite dizaine d’ouvrages entre 2006 et 2021.
C’est donc cet hyperactif, très proche des cercles macronistes, issu du Medef, serial-entrepreneur comme on dit et issu d’une famille très comme il faut, que le gouvernement a choisi de nommer préfet de l’Indre. Et ce dans un contexte où les collusions entre pouvoir politique et pouvoir économique sont particulièrement aiguës en région Centre, les cas opposés de Régine Engstrom et de Marie Lajus en sont les manifestations criantes.
Délicieuse époque.
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