Christophe Bigot est enseignant et écrivain. L’œuvre de Girodet, peintre natif de Montargis, est très présente dans son roman, Le château des trompe-l’œil, paru aux Éditions La Martinière. La Révolution française est l’autre thème majeur de ses romans. Magcentre l’a interviewé sur ses thèmes de prédilection.
Propos recueillis par Izabel Tognarelli
Pourquoi avoir choisi la veine gothique pour ce roman ?
J’avais le désir très ancien d’écrire un roman gothique, ça fait facilement vingt ans. J’en ai retrouvé trace dans le journal que je tiens : j’avais déjà le synopsis. J’ai ensuite totalement oublié avoir à ce point réfléchi à l’intrigue. C’est un désir qui vient de l’envie de transmettre mon propre goût pour ce type de roman dont j’ai aimé la lecture dès l’adolescence, à commencer par Les Hauts de Hurlevent. Ce n’est pas exactement un roman gothique, mais il représente la queue de comète du roman gothique de l’époque romantique. Plus tard, quand j’étais étudiant, j’ai découvert Le moine de Lewis et Les Mystères d’Udolphe, d’Ann Radcliffe. J’ai adoré ça. Dans L’Hystéricon, mon deuxième roman, une des histoires est gothique. C’est celle que j’ai eu le plus de plaisir à écrire. Il y avait une sorte de frustration : j’avais envie d’écrire un roman gothique. Ce genre est spécifiquement anglais, même si on en retrouve des influences chez Poe et Stevenson. Je trouve très bien que les lecteurs me disent que mon roman leur a fait penser aux Nouvelles fantastiques de Gautier, que tel autre dise que cela lui a plutôt évoqué Villiers de l’Isle-Adam. Dans la mesure où mon roman est un hommage au romanesque en général et à la littérature du XIXe siècle en particulier. Je trouve très bien que cela inspire aux lecteurs d’autres références que celles que j’avais à l’esprit au moment où j’ai écrit.
Quand on croise le regard de Girodet, il vous hante à jamais. Est-ce ce qui vous est arrivé ?
Girodet compte parmi mes peintres préférés. Je l’ai complètement découvert au moment de l’exposition du Louvre, en 2005. J’aimais déjà ses tableaux, je connaissais évidemment Atala au tombeau et son portrait de Chateaubriand. J’ai été instinctivement sensible à plusieurs choses dans son travail. D’une part, esthétiquement, il est à un point de jonction entre le néo-classicisme et le romantisme. Ces mouvements artistiques m’intéressent ; je les trouve particulièrement riches car ils contiennent en germes toutes les révolutions esthétiques, artistiques, littéraires, etc.
Il y a aussi l’aspect homoérotique du travail de Girodet.
Certains tableaux annoncent qu’il y a une séduction particulière du corps masculin. De ce fait, j’ai commencé, en feuilletant le catalogue de l’exposition, à voir si cette question avait été traitée. Un article, dans le catalogue publié chez Gallimard, posait la question, tout en disant que c’était une discussion très forte des biographes. Mais Girodet s’était attaché à détruire toute sa correspondance au moment de sa mort. On savait qu’il avait vécu avec Julie Candeille que je connaissais par ma passion pour la Révolution française.
À partir du cas Girodet, je pouvais explorer une question qui me tenait à cœur dans ce livre. Il s’agissait, sans tomber dans l’anachronisme, d’imaginer ce que pouvait être un parcours amoureux, un parcours de désir atypique, que l’on considérait à l’époque comme déviant ou interdit. Pour beaucoup de périodes de l’histoire de France, on a des indices, des documentations. Pour cette époque-là, il y en a très peu. On sait que l’homosexualité existait dans les milieux du théâtre. J’évoque le cas de la Raucourt, parce qu’il est connu. Dans l’aristocratie, on a les exemples de figures comme Astolphe de Custine, qui a été adopté par Chateaubriand et que j’évoque aussi dans mon roman. Pour moi, ce qui trahit Girodet de ce point de vue là, c’est sa peinture. J’avais donc envie d’imaginer des choses plausibles.
Vous étiez au Salon du livre du Montargois et vous avez visité le musée Girodet. Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai trouvé les collections très riches. J’étais très heureux de retrouver des tableaux que j’avais vus au Louvre en 2005 : le fonds est vraiment superbe et le cadre est par ailleurs magnifique, cette architecture néo-classique, ce jardin qui est une sorte d’écrin très paisible. C’est un très beau musée, dans une ville où nous avons été vraiment bien accueillis. Ce salon était vraiment très bien organisé, avec une équipe de bénévoles charmante et un temps radieux. Ce fut un très beau week-end.
La période de la Révolution est très présente dans vos livres. Pensez-vous qu’elle est bien enseignée ?
Au moment des commémorations du bicentenaire, la Révolution a été un peu réduite, à une sorte de folklore républicain sur lequel il y avait globalement un consensus, mais sans grand approfondissement des enjeux politiques à proprement parler. Dans les années 1970, François Furet estimait qu’il fallait étudier le passé comme passé et cesser d’en faire un enjeu idéologique, ce qui a été très longtemps le cas dans l’enseignement de la Révolution par l’université française. L’histoire politique et universitaire récente lui a donné un total démenti. On assiste à une espèce de retour de l’enjeu politique de la Révolution, avec des historiens très engagés, plutôt à l’extrême gauche.
Aujourd’hui, un certain nombre d’historiens de la Révolution pensent qu’il s’agit d’un laboratoire des luttes présentes et à venir. Je trouve intéressant d’éclairer le présent par le passé et de voir ce qui, dans l’histoire des institutions, de l’équilibre des pouvoirs, etc., a déjà été pensé et pourrait nous permettre de sortir de la crise démocratique dans laquelle nous nous trouvons. En revanche, faire une sorte de révisionnisme historique comme celui-là, j’ai beaucoup de mal avec ça. Plusieurs productions artistiques, appartenant aussi à la culture populaire en cinéma, en bandes dessinées et en romans, me semblent aller dans ce sens très militant. Jules Michelet, grand historien de la Révolution, a fait du peuple l’acteur majeur de la révolution, selon une mythologie historiographique qui a été complètement déconstruite ensuite, notamment par les marxistes qui ont considéré qu’en réalité, c’était les bourgeois qui avaient fait la révolution ; une révolution de bourgeois pour les bourgeois, puisqu’il s’agissait de libéraliser l’économie et de permettre l’ascension sociale de la bourgeoisie. Or, depuis quelques années, on assiste au retour du mythe d’un peuple acteur de l’histoire qui entre en résonance avec les propos de certains hommes politiques.
Il y a eu notamment le roman d’Éric Vuillard, 14 juillet, qu’il avait écrit avant son prix Goncourt et qui raconte la journée de la prise de la Bastille du point de vue des acteurs anonymes qui y ont participé. Une partie du livre m’a beaucoup intéressé parce qu’il a travaillé sur les archives de la police de Paris. Mais il y a une espèce d’idéalisation du peuple et beaucoup de caricatures concernant le reste de la situation politique, la famille royale, etc. Vous avez eu Un peuple et son roi, film de Pierre Schoeller, très caricatural, avec à mon sens une interprétation très discutable d’un certain nombre d’épisodes, à commencer par l’exécution de Louis XVI. Je trouve qu’il y a un retour de la politisation de l’objet Révolution française. Concernant la question de la violence, de la légitimité de la violence, on est en plein dedans, justement. Toute forme de violence me fait absolument horreur. Cette façon que l’on a, aujourd’hui, de considérer que la violence entraîne la violence et que la violence d’État entraîne une légitime violence populaire est une idée qui m’est insupportable.
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