Nous voici en Eure-et-Loir, dans le joli village de Frazé, dont la Compagnie « Têtes à claque » s’est transposée en Avignon, avec son spectacle « Confidences ». Face à face haletant, émouvant, dans un commissariat qu’on pourrait découvrir au cinéma, mais on est immergé dans le spectacle vivant.
Par Bernard Thinat
A gauche, un bureau, avec téléphone, ordinateur et surtout un énorme dossier mentionné en gros caractères « Claude ». On apprendra qu’un assassin rôde à Saint-Cloud, dans les quartiers huppés des Clodoaldiens, d’où le mot « Claude », et a déjà trois meurtres de jeunes filles à son actif. L’inspecteur planche sur l’affaire.
Voilà qu’on lui annonce une visite, celle d’une dame, la quarantaine et un peu plus, épouse du patron de la clinique locale, qui vient avertir l’inspecteur qu’on veut l’assassiner, elle l’épouse modèle et fidèle, deux grands enfants, ayant reçu une lettre anonyme lui annonçant sa fin funeste, mais qu’elle a brûlée. Puis veut s’en aller sans autre formalité. Mais l’inspecteur flaire quelque chose, ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « l’avoueur ». Et si les deux affaires étaient liées ?
Dominique Renaudin et Adda Vernet – Photo B.T.
Aucune révélation sur sa conclusion. Mais il faut bien écrire. Ici, on ne crie pas, pas de paires de gifles, ni de projecteur envoyé à la face de l’autre. On parle doucement, parfois presque à fleurets mouchetés, tout est dans le retrait, la finesse, le contournement. Ici, un battement de cils, une main qui effleure, un pas de côté, ont une importance.
Astucieux, le policier ira fouiller dans la vie de cette femme, son histoire pas toujours rose, son téléphone portable, jusqu’au basculement marqué par le tutoiement utilisé par le flic, vieille astuce pour déstabiliser. Le spectateur s’interroge : que sait cette femme et qui est l’assassin ? Le mari ? Le voisin ? Un infirmier de la clinique ? Ou le couple comme chez les Dutroux ?
Un couple d’acteurs dont on respire le professionnalisme, l’esbroufe n’étant pas leur genre. Sauf qu’ils se définissent « amateurs », enfin pas tout à fait à mon avis. Le fic, c’est Dominique Renaudin, la bourgeoise et l’autrice du texte édité aux Editions Lansman, Adda Vernet (pseudo). Une heure et demie qui passe trop vite, on est déjà dehors après de chaleureux applaudissements. La salle était pleine, mais avec 28 places… C’est aussi cela Avignon, de petites choses qui se révèlent grandes.
Entretien avec Dominique Renaudin et Adda Vernet
Magcentre : Vous pouvez présenter ce qu’est la Compagnie « Têtes à claque » ?
DR et AV : Elle a été créée il y a trois ans sous l’égide de l’association Frazz’art, et dont le nom vient du village de Frazé en Eure-et-Loir où nous résidons. La compagnie possède un numéro de la DRAC, mais nous sommes tous des amateurs. L’association Frazz’Art est aidée financièrement par le département et par la commune. Nous aurions aimé obtenir une subvention pour Avignon de la part de la Région, mais ça ne s’est pas fait.
Magcentre : Adda, vous pouvez parler de la genèse de l’écriture, puisque vous êtes l’autrice de la pièce ?
AV : J’ai candidaté à un concours de pièces de théâtre en un acte organisé à Paimpol en Bretagne, et j’ai remporté le premier prix avec cette pièce en 2021. Elle a été éditée chez Lansman et vient de sortir en juin dernier. On a alors décidé tous les deux de monter la pièce. Personnellement, j’ai fait autrefois des études de théâtre, Dominique est aussi passionné de théâtre. On a alors énormément travaillé puisqu’on a répété un jour sur deux durant une année. On voulait une qualité pro pour notre spectacle.
Magcentre : Vous êtes allée à la rencontre de policiers pour écrire le texte, parce qu’on a vraiment le sentiment d’avoir affaire à un vrai flic, et pas un flic de la télé ?
AV : Je lis beaucoup de romans policiers un peu décalés, des polars noirs. J’ai donc une culture polar / psychologie criminelle que j’ai mobilisée pour l’écriture de cette pièce. La femme étant venue d’elle-même, elle n’est pas en garde à vue, donc il n’y a ni caméra, ni enregistrement, et le policier peut se permettre toutes les techniques de déstabilisation comme le tutoiement. J’essaie de faire en sorte de suggérer beaucoup de fausses pistes. Mon plaisir quand je suis spectatrice, c’est d’être surprise. C’est une pièce que j’ai écrite un peu comme un amusement en travaillant sur une série de basculements. Je voulais obtenir une écriture assez ciselée, faire de la qualité dans ce genre-là, car je pense qu’un bon polar, c’est de la tragédie grecque.
DR : Le rôle d’Adda est beaucoup plus difficile que le mien parce qu’elle doit faire émerger ses états d’âme, elle passe de la désinvolture jusqu’au drame personnel et profond, cela réclame chez Adda un travail émotionnel.
Magcentre : C’est la première fois que vous venez à Avignon ? La salle était remplie hier soir.
AV et DR : En tant que comédiens, oui. Mais nous sommes de grands consommateurs d’Avignon en tant que spectateurs. Oui, la salle était remplie, ce n’était pas le cas au début, cela a démarré lentement. Financièrement, on ne tient pas la route. On a un budget de 10 000 €, la salle nous coûte 4 000 € environ. Mais l’espace Alya où nous jouons est tenu par des comédiens qui sont solidaires.
Magcentre : Ce spectacle va tourner à la rentrée ?
AC et DR : On a fait 3 dates au théâtre du Nord-Ouest à Paris, on fait des représentations dans le Perche et on va sans doute retourner sur Paris en fin d’année.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Des Compagnies théâtrales régionales au Festival d’Avignon #3