Jacno, quand la typographie fait sens

Bien que le nom du créateur du paquet de Gauloises fût imprimé à des milliards d’exemplaires, l’œuvre de Marcel Jacno (1904-1989) reste peu connue du grand public. L’Atelier-Musée de l’Imprimerie de Malesherbes consacre sa nouvelle grande exposition au travail, à l’œuvre et à la vie de ce créateur de génie, l’un des graphistes français les plus prolifiques du XXe siècle.

Par Gérard Poitou

Cl Jean Dominique Burtin

Du paquet de cigarettes Gauloises à l’identité visuelle du TNP (Théâtre national populaire) en passant par le Z de la marque Cinzano ou encore les manchettes pour France-Soir, Marcel Jacno est tout à la fois dessinateur et peintre en lettres, caricaturiste, affichiste, graphiste, designer, auteur, enseignant, négociant en perles et pierres fines – comme Gutenberg – et typographe inventif, c’est de tous ces talents que rend compte l’exposition Marcel Jacno, typo-graphiste proposée par l’Atelier Musée de l’imprimerie de Malesherbes.

Interview d’Adrien Saldana, médiateur de l’exposition

Comment se déroulent les débuts professionnels de Marcel Jacno ?

Jacno débute la typographie dans les années trente et il va s’inspirer du travail d’une star du graphisme en France : Cassandre, qui a créé déjà pas mal de caractères et Jacno débutant va un peu copier ce que fait Cassandre, c’est-à-dire des caractères formés de petits points, caractères qui ne seront pas connus mais qui lui permettront d’être embauché par une importante fonderie de caractères. Les caractères qu’il crée ne sont pas ces alphabets que l’on appelle de labeur, ces alphabets que nous avons sur nos ordinateurs comme Times Arial, des alphabets qui n’ont pas beaucoup de personnalité, qui sont conçus pour être lisibles facilement. Le seul alphabet de labeur de Jacno s’appelle le Talma. Jacno a débuté comme peintre en lettres, il fallait alors dessiner les lettres sur les devantures de magasins, les voitures, les panneaux publicitaires et son travail de création de caractère va servir à écrire un mot ou une ligne ou un slogan tout au plus. Ce ne sont pas des caractères destinés à l’impression des journaux.

On peut dire qu’il donne du sens aux lettres ?

Il donne de la personnalité à la typographie, c’est un créateur de caractères de caractère. L’exposition présente un grand mur où un jeu permet, à partir de sa description, de deviner le caractère. On a sélectionné huit caractères les plus célèbres avec le premier qui s’appelle justement le Jacno, mais aussi le Scribe qui est une écriture manuelle, l’Onyx, le Ring, l’Hercule, le Calame, l’Hypocrate…

C’est la première grande séquence de l’exposition autour de Jacno, créateur de caractères pour l’entreprise Deberny et Peignot qui est une des deux plus grosses fonderies de l’époque, ce qui bien sûr complète ce que l’on trouve dans l’autre partie du musée, la typographie. L’exposition présente aussi tout le processus de création des caractères à partir des brouillons qui sont exposés : comment Jacno construit un caractère, le très long processus de création d’un alphabet.

L’exposition présente aussi son travail pour le théâtre…

En plus de Marcel Jacno créateur de caractères, dans les années 50 à l’époque de Jean Vilar, Jacno va créer toute la charte graphique du TNP (Théâtre National Populaire) alors que ce dernier était encore au Palais de Chaillot à Paris. Il va aussi accompagner Jean Vilar pour créer la charte graphique du Festival d’Avignon. A l’époque c’est un concept tout neuf, et Jacno est un fan de théâtre : en plus du TNP de Jean Vilar, il va créer pour l’Alhambra, le Théâtre des Nations,
la Comédie-Française…

Jacno est-il un précurseur ?

Jacno n’est pas forcément un précurseur parce qu’il s’inscrit beaucoup dans son temps mais il a quand même inventé le concept d’une affiche qui parle pour le journal l’Intransigeant avec un système à l’intérieur qui faisait que chaque fois que l’on passait devant, l’affiche chuchotait « Moi je lis l’Intran ».

Ensuite une partie de l’exposition est consacrée à Marcel Jacno éclectique. Jacno a créé dans tous les domaines : le fameux casque du paquet de Gauloises, mais aussi le design de beaucoup de parfums comme le Shalimar par exemple. C’est une partie où l’on peut se promener pour découvrir le côté éclectique de la création de Marcel Jacno. Pour le public qui a connu cette époque, ça a un bel effet madeleine de Proust avec des objets que l’on a tous connus quotidiennement : c’était le concept même de Jacno d’attirer le regard sans se poser de question. Mais cette exposition par la multiplicité et la diversité des objets présentés attire aussi l’attention et l’intérêt des plus jeunes pour ce graphiste super star des années 50, même s’ils sont trop jeunes pour avoir connu le paquet de Gauloises.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Malesherbes : un musée de l’imprimerie en grand format