Des rêveries parisiennes très étoilées

A Paris, l’hôtel La Louisiane est un lieu mythique de la vie germanopratine. Et quand Charlotte, sa réceptionniste, prend la plume pour y loger quelques rêveries intimes, il n’en est que plus séduisant.

Par Jean-Luc Bouland

« Je décidai alors d’attraper mon Bic bleu, de recopier le passage sur une page blanche A4. Puis, au verso, je fis danser le stylo, les mots, les voyelles claires et les consonnes claquantes. Je réécrivis le passage, mais le fis à la manière des gens sans goût, de ceux qui, comme moi, restent proches du mot et de son premier degré ; à croire qu’ils demeurent ébahis sur le littoral du sens ».

Ainsi s’exprime Charly, page 84 du Refuge des étoiles contant ses rêveries à la Louisiane, récemment arrivé dans les bonnes librairies, et sur le comptoir de l’hôtel éponyme. Elle fait ici référence à un texte d’Albert Cossery, auteur qui l’accompagne dans ses cheminements littéraires, et un peu dans le réel. Albert a fréquenté la Louisiane, et Charly y est aujourd’hui réceptionniste. Mais qui est Charly ? Pas tout à fait Charlotte, sa génitrice, qui serait alors bien modeste dans ces quelques lignes. Car l’ouvrage est autant plaisant dans le style que dans l’univers décrit, dans les portraits subjectifs de ses illustres personnages cités que dans les descriptions du VIe arrondissement parisien, lieu magique de ses promenades et rencontres oniriques.

Une fiction pulpeuse

Dans l’histoire, Charly est une ancienne voleuse qui, en sévissant dans les appartements parisiens, a rencontré Serge, un vieil homme qui lui a conseillé de travailler à l’Hôtel La Louisiane. Elle y volera des histoires de vie, qu’elle lui contera à sa façon, et si premier degré il y a, il doit être des plus élevés.

À l’Hôtel La Louisiane, comme dans le quartier où elle se promène, « Charly découvre l’amitié, mais aussi le sentiment amoureux et la vie charnelle. Et, grâce à l’écriture, elle ressuscite les étoiles qui ont fréquenté cet hôtel ». On y croisera au fil des pages Rimbaud et Verlaine, Lucien Freud, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Cossery, Keith Haring, Jim Morrison. Et même Ben, qui fut l’inspirateur de la Fondation du doute, à Blois. « A La Louisiane, il y a des gens, des êtres qui passent. Ils laissent leurs débris qui deviennent des métaux précieux. Mais il y a aussi des chambres… Celles de l’hôtel sont chargées de ceux qui y vécurent : Juliette Gréco, Amanda Lear, Quentin Tarantino, Etienne Daho. Et tant d’autres qui firent du 60, rue de Seine la boite postale de leurs primes idées, leur jeunesse effarouchée » (p191). Et une chambre l’a encore plus émue, la chambre 10, « différente de tout ce que l’on peut voir dans le VIe arrondissement ». Et puis il y a aussi la sienne, la 14, ou la 36, et d’autres qui favorisent quelques amours solitaires.

Une auteure passionnée

« La Louisiane est un livre qui attendait d’être écrit. Charlotte Saliou l’a fait avant moi, avec lyrisme et nostalgie. Je l’envie beaucoup et lui en veux un peu », écrit en préface Frédéric Beigbeder, qui a fait du lieu son domicile parisien, depuis son déménagement au Pays basque.

Charlotte Saliou, déjà auteure d’un recueil de poèmes, avoue avoir beaucoup profité du confinement pour écrire ce livre, au fil de ses inspirations, depuis 2020 qu’elle est réceptionniste à La Louisiane, mais sans jamais avoir été voleuse, ni employée au Moulin rouge, comme Charly. Après des études de lettres à l’université de Bordeaux, et des cours de communication à Paris, elle n’a pas abandonné l’écriture, ni la lecture, loin de là. Rédactrice pour des magazines, elle a aussi publié des récits, des poèmes et des nouvelles dans les revues littéraires.

« La Louisiane en a vu, des fous et des rêveurs, des orphelins et des isolés. Des mythomanes et des cleptomanes ! C’est peut-être pour cette raison que moi aussi, l’ancienne petite voleuse, qui à présent se nourrit des histoires des autres, je m’y sens à mon aise », écrit Charly. « Mais la Louisiane est quand même un hôtel (presque) comme les autres », nous confirme Charlotte. Voilà qui donne bien envie de s’y rendre, et pas seulement pour obtenir une dédicace en ouverture de ces rêveries des plus savoureuses, de la main de
« la gardienne de cette famille de colocataires baroque » comme l’a dit récemment Thierry Voisin dans Télérama. Et peut-être avec un Bic bleu.

–           Le refuge des étoiles – Charlotte Saliou – Ed. Black Eléphant, 240 pages – 16€90.


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