Dans le cadre de La semaine internationale des archives, Tal Bruttmann, co-auteur du livre – Un album d’Auschwitz, Comment les nazis ont photographié leurs crimes – était à la médiathèque d’Orléans le 6 juin 2023. À l’invitation du CERCIL, l’historien a décrypté les 197 photos prises par deux photographes nazis à Auschwitz. Édifiant.
Par Sophie Deschamps
Tal Bruttmann, historien co-auteur du livre Un album d’Auschwitz, comment les nazis ont photographié leurs crimes. Photo Sophie Deschamps
Tal Bruttmann, historien spécialiste d’Auschwitz l’a martelé tout au long de son intervention ce mardi soir devant un public attentif à l’auditorium Marcel Reggui de la médiathèque d’Orléans : « Il ne suffit pas de regarder une photo pour comprendre ce qu’elle veut dire. En fait, on ne sait pas utiliser les images ! » Une démonstration passionnante et pédagogique menée donc par ce co-auteur de l’ouvrage richement illustré Un album d’Auschwitz, Comment les nazis ont photographié leurs crimes (Seuil).
En effet, ce livre préfacé par Serge Klarsfeld présente 197 clichés pris entre mi-mai et début juillet 1944, au moment où des centaines de milliers de Juifs de Hongrie arrivaient à Auschwitz-Birkenau.
Un album photos exceptionnel
L’histoire de cet album photos est elle-même incroyable. Ainsi, c’est une jeune déportée hongroise survivante Lila Jacob qui le retrouve par hasard à la Libération dans une baraque abandonnée du camp de Dora, donc très loin d’Auschwitz.
Lila Jacob ignore alors qu’elle tient dans les mains un document exceptionnel. C’est en effet le seul témoignage photographique sur l’arrivée de déportés juifs dans un camp de la mort. Ce type d’album, courant durant la guerre, servait en effet aux responsables nazis des camps, et surtout d’Auschwitz, à montrer en images à leur hiérarchie qu’ils accomplissaient leur sinistre “travail” d’extermination. Des albums qui ont toutefois disparu. Ce qui explique la valeur de cette archive appelée L’Album d’Auschwitz et conservée en Israël dans le lieu de mémoire Yad Vashem.
Cinq ans de travail pour l’analyse des clichés
Bien sûr, ces photos ont été diffusées dans le monde entier pour illustrer et documenter la Shoah. Mais pour Tal Bruttmann, « il y a un immense impensé pédagogique de ces clichés auxquels on a fait parfois dire n’importe quoi ». C’est pourquoi ce livre a nécessité cinq longues années de travail à Tal Bruttmann et ses deux collègues allemands Stefan Hördler et Christof Kreutzmüller, co-auteurs du livre. D’une part, et c’est essentiel, pour replacer ces 197 photos dans leur contexte historique. D’autre part et c’est tout aussi important, pour faire la peau à certains clichés dont celui qui assure que les Juifs se sont laissés mener à la mort comme des moutons.
Photo montrant des femmes et des enfants juifs allant à la mort mais l’ignorant. Album d’Auschwitz. Photo SD
En effet l’analyse minutieuse des images montre que certaines d’entre elles sont clairement mises en scène : « Lorsque plus de dix personnes regardent le photographe, c’est que l’ordre leur a été donné par celui-ci de regarder l’objectif », explique Tal Bruttmann. Puis il dénonce la perversité des deux photographes nazis , surtout celle de l’ex-instituteur. Ce dernier n’hésite pas en effet à prendre en photo des femmes et des enfants allant vers la mort mais eux bien sûr l’ignorent (voir ci-dessus). Tal Bruttmann explique alors que le four crématoire étant derrière eux « c‘est donc le photographe qui les a obligés à s’arrêter et à se retourner ». Puis il lâche ce commentaire : « C’est comme si le photographe disait : “Regardez ces cons de Juifs qui ne savent pas ce qui les attend !” ». C’est ce genre de cliché de propagande qui pour l’historien nourrit l’idée reçue des Juifs soumis.
Les détails sont eux aussi primordiaux. Toujours sur cette photo, Tal Bruttmann attire notre attention sur le prisonnier visible en arrière-plan, derrière les barbelés : « Lui sait ce qui va arriver à ces femmes et ces enfants ».
Des photos faussement non-violentes
Par ailleurs, les images semblent non-violentes. Mais Tal Bruttmann donne aussitôt des points de décryptage avec le cliché reproduit ci-dessous.
Cliché extrait de “L’Album d’Auschwitz” montrant les violences faites aux Juifs. Photo SD
L’historien indique alors qu’il s’agit de Juifs de Hongrie qui viennent de descendre des wagons plombés : « Ceux qui sont allongés sont probablement morts ou mourants », assène Tal Bruttmann. Puis il désigne l’homme enturbanné expliquant que ce dernier a subi une humiliante séance forcée de rasage de sa barbe : « On voit le résultat de l’humiliation mais pas l’action » complète l’historien qui ajoute que « ceux qui mettent un mouchoir devant leur bouche sur d’autres clichés ne sont pas enrhumés mais assaillis par l’odeur des corps brûlés… »
D’autres photos montrent encore que des trains de voyageurs classiques passaient à proximité d’Auschwitz, un peu en hauteur. Les passagers avaient alors une vue imprenable sur le camp qui n’était donc, indique Tal Bruttmann, « ni secret, ni caché ».
La grande leçon de ce livre conclut l’historien est « qu’une photo, pas plus qu’un dessin n’est jamais neutre ni objective. »
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Couverture livre Un album d’Auschwitz, Comment les nazis ont photographié leurs crimes