Invité jeudi soir et vendredi par la Scène nationale d’Orléans, Sidi Larbi Cherkaoui évoque le Faune de Debussy et Nijinski et inscrit son travail dans la tradition de la danse. Mais Noetic, le deuxième ballet du spectacle, s’inscrit, lui, dans la danse complètement actuelle. Une soirée à deux entrées dans l’intelligence et la grâce d’un chorégraphe contemporain.
Par Bernard Cassat
Le couple de Faun. Photo Nicha Rodboon
En reprenant la musique de Debussy sur laquelle Nijinski a créé sa fameuse chorégraphie qui a changé le cours de la danse, Sidi Larbi Cherkaoui remonte aux sources de la danse moderne. Et remonte également aux sources de l’humanité, en tout cas de ses émotions. Le danseur, le faune, commence seul dans une forêt impressionnante. Mi-homme mi-animal, il bouge de manière incroyablement fluide, semblant pouvoir réaliser tous les gestes possibles dans un accord parfait avec musique et paysage derrière lui. C’est la puissance du corps, sa beauté, tout ce qu’il permet comme expression, c’est la joie simple de bouger parce qu’on peut le faire et parce que c’est beau. C’est la nature brute. Et pourtant combien son expression a demandé de travail ! Et lorsque, à un changement de musique, Nitin Sawhney remplaçant Debussy, une femme entre en scène, le couple commence un duo époustouflant, tout aussi fluide et limpide. Mais c’est alors la joie d’être deux, le désir qui naît, et qui met des étincelles dans la forêt. Il commence par toucher son pied, et puis la frôle de ses mains. Elle enlace ses jambes, et les corps jouent ensemble, les bras entourent, les jambes s’emmêlent. Ils inventent une bête à quatre jambes et quatre bras, ils évoluent dans des enlacements merveilleux de simplicité, d’évidence. Il y a une formidable réjouissance à regarder ce couple pour qui danser, c’est aimer, aimer, c’est danser. La puissance de ce quart d’heure de danse totalement contemporaine montre le travail réalisé par cet art en un siècle, et l’intelligence du chorégraphe qui a imaginé cette fusion des corps des danseurs.
Noetic. Photo Filip Van Roe
La deuxième partie du spectacle, Noetic, est presqu’antinomique. Un formidable roulement de tambours japonais joués sur scène par Shogo Yoshii lance la danse. Dans un décor gris, austère, la troupe, une vingtaine de danseurs-euses, en costumes cravates et tenues noires pour les femmes forment des figures de groupe, ou se morcelle en trois, quatre petits ensembles. La gestuelle est très plastique, on retrouve l’influence de De Keersmaeker, le maître de Sidi Larbi. Dans les mains, par exemple, dans les jeux de bras répétés à l’infini, comme si une épaule lâchait. Et puis les moments se suivent, tout un jeu assez mystérieux avec les souliers font penser à l’ambiance des bureaux, de la banque, de l’argent. Une chanteuse, Ana Vieira Leite, se rajoute à la bande son. Les danseurs dessinent avec des lattes souples des lignes sur le sol, délimitent des zones. La danse devient rectangulaire, bras à 90°, profils égyptiens, dans des ensembles très graphiques. Et la troupe joue avec les lattes, les lignes deviennent des cercles, dessinant de très belles évolutions, pour finalement construire une sphère portée par la troupe entière. La terre. La connaissance. Le cycle de la vie. Cette petite heure, tenue de bout en bout, esthétiquement irréprochable, a conquis le public. Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas failli à sa réputation. Et la troupe de danseurs-euses du Ballet du Grand Théâtre de Genève, excellente, précise, rigoureuse, méritait largement la belle ovation finale.
Ce vendredi 26 mai à 19h, il reste des places.
Tarifs de 5€ à 35€, détails et renseignements ici
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