Samedi ciné: “The Wild One” ou l’extraordinaire histoire d’un homme à part

Dans The Wild One, Tessa Louise-Salomé raconte la vie de Jack Garfein. Rescapé de la Shoah, il s’est immiscé dans le monde cinématographique de la deuxième moitié du XXe siècle. Une grande interview de 2015 structure le film, complétée par de nombreux documents. Garfein, peu connu et un peu oublié, reprend la place qui lui revient.

Par Bernard Cassat

Un moment de l’interview avec projections derrière Garfein. Petite Maison Production

Tessa Louise-Salomé est réalisatrice, monteuse et productrice. Elle a beaucoup travaillé sur des documentaires portant sur l’art, le cinéma, notamment un long métrage sur Leos Carrax. Dans The Wild One, elle raconte la vie Jack Garfein, décédé fin 2019, avant la sortie du film. Mais Tessa avait pu l’interviewer dans un immense studio de Babelsberg, à Berlin donc, en 2015. Né Jakob Garfein en Tchécoslovaquie, cet homme a traversé le XXe siècle, en a vécu le pire mais ensuite s’est taillé une place importante dans le cinéma américain de la deuxième moitié du siècle, donc le cinéma mondial.

La voix off de Willem Dafoe

Le film-documentaire de Tessa utilise un montage en kaléidoscope, faisant constamment des allers-retours entre le passé et le présent. Elle a retrouvé des interviews de Jakob devenu Jack, elle a rassemblé des photos. Et lorsqu’elle n’a ni matériel visuel, ni archives sonores, elle comble les trous par un récit à la première personne en voix off, dit par Willem Dafoe. En trouvant des bouts d’archives d’époque, des images qui ont du être prises à l’époque que le récit raconte. Ce qui complique parfois le propos, mais en même temps, la valeur de ces documents est pertinente. Images d’armée allemande, visages de gens des ghettos, images de camps, certaines travaillées avant montage, qui reviennent, entrecoupées d’images actuelles vides de personnages quand le récit suit la fuite de la famille vers la Hongrie, par exemple.

Car Jakob s’est retrouvé à 13 ans à Auschwitz, puis il a changé plusieurs fois de camp. Et survécu jusqu’à la libération de Bergen Belsen par les Anglais. Ils l’ont envoyé dans un camp de convalescence en Suède, où les filières juives pour la jeunesse et les Américains lui ont proposé de venir à New York rejoindre son oncle. Ce qu’il a fait.

La sortie de The Strange One. Photo Petite Maison Production

Et là commence sa deuxième vie, alors qu’il n’a que 17 ans ! Fou des planches depuis qu’il est tout petit, il arrive à s’immiscer dans le monde du théâtre new-yorkais, est repéré par Lee Strasberg qui l’invite dans son école, l’Actors Studio. En tant que metteur en scène. Il vénère Kazan et devient son assistant. A 26 ans, il réalise son premier film avec l’aide de Strasberg. Et fait tourner pour la première fois des acteurs qui deviendront des stars. Ben Gazzara notamment.

Tessa intègre plusieurs extraits assez longs de ses deux films les plus importants, The Strange One (Demain ce seront des hommes), de 1957, sabré par la censure à cause d’allusions ouvertement homosexuelles, et aussi parce qu’il s’attaque aux violences dans l’armée et au racisme étasunien. Et Something Wild (Au bout de la nuit), de 1961, le viol d’une jeune fille et ses conséquences traumatisantes. Des thèmes à l’encontre de ceux des majors de l’époque, toutes puissantes dans les années 50-60. Ce qui l’exclue des circuits commerciaux. Très atteint par les critiques, il se rabat sur l’enseignement et forme nombre d’acteurs qui se tailleront une belle carrière, Sissy Spacek ou Steve McQueen par exemple. Le film cite plus Strasberg que Garfein pour les leçons données à l’acteur, mais les extraits choisis restent très subjectifs, la théorie assez floue et plus inquiétante qu’édifiante.

Un décor halluciné pour la réconciliation avec l’enfance. Photo Petite Maison Production

Tessa ne se contente pas d’extraits des films de Garfein, elle propose un commentaire éclairant sur son gros travail d’image. L’ancrage par exemple dans les mouvements esthétiques des années 50, tendant à l’abstraction géométrique. Avec des images de rues coupées en deux et reprises en miroir, des montages très graphiques de New York. Extraits qui s’inscrivent presque comme son propre modèle. Elle a aussi beaucoup travaillé l’image. Peut-être trop parfois, bien que l’ensemble reste un très beau cinéma. Comme cette séquence qui ouvre le film, images somptueuses de nature, points de vue différents qui s’enchaînent, prises de vue à l’aplomb.

Et pour clore le récit par une happy end, la réalisatrice réconcilie le Jack vieillissant et l’enfant Jakob qu’il était. On n’y croit qu’à moitié, mais la vie de cet homme est tellement extraordinaire que ce n’est plus très important. Le film l’expose et la prolonge avec force. La singularité de cet homme, sa ténacité et son ouverture au monde fascinent.

 

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