La metteuse en scène Marie Fortuit a offert un magnifique spectacle en portant sur la scène, le texte « Ombre (Eurydice parle) » de l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature en 2004.
Par Bernard Thinat
Lucie Leclerc – Photo Pauline Le Goff
L’autrice et des auteurs autrichiens
On ne peut pas dire que Jelinek soit adulée par la bien-pensance autrichienne, tant elle dénonce les relents nauséabonds d’une société conservatrice et ses excroissances néo-nazies. Il en allait de même de l’écrivain Thomas Bernhard, dont « Place des héros » en 1988 fut honnie par la Droite autrichienne, ou de l’autre Prix Nobel de littérature (2019) Peter Handke que même la Comédie Française aura réussi l’exploit de censurer. Mais qu’est-ce que l’art s’il ne questionne pas les consciences, ne les remet pas en question, s’il ne crée de l’émotion, sinon au mieux du divertissement.
Mais revenons à Elfriede Jelinek ! Son roman le plus connu, « la Pianiste » édité en 1983, est porté à l’écran par Michael Haneke, film trois fois primé au Festival de Cannes en 2001 avec un Grand prix et deux Prix d’interprétation pour Isabelle Huppert et Benoît Magimel.
« Ombre (Eurydice parle) » est un des derniers textes d’Elfriede Jelinek, traduit et publié en français en 2018. On connaît l’histoire mythologique qui a donné tant de créations artistiques. Ici, Jelinek transpose l’histoire de nos jours : Orphée est un chanteur rock, Eurydice, sa compagne, étouffée dans un monde patriarcal.
Le spectacle
En préambule, une vidéo montre les deux amants au sortir du mariage, entourés d’enfants. Eurydice tantôt sourit, tantôt la tristesse se peint sur son visage. Puis elle s’enfuit, poursuivie par les enfants sans que son compagnon ne se lève. Elle se baigne dans un étang, la caméra hésite, filme une araignée, un poison mort, images floues. L’écran tombe, place à Virgile-Lucie Leclerc, allongée sur un lit de mort. Elle n’est plus qu’une ombre, retirée des vivants. Elle se lève et nous parle, long monologue, entrecoupé par la musique du batteur et chanteur rock Orphée/Romain Dutheil, Morsure d’un serpent ou départ volontaire vers un monde parallèle, celui des ombres. Rien n’est clair, ni dans le texte, ni dans la vidéo. A chacun d’imaginer, mais peut-être Eurydice est-elle plus heureuse au royaume des ombres.
Marie Fortuit a proposé au cinéma des Carmes, la projection du film « Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma (dimanche 21 mai à 18 heures), dans lequel l’une des deux jeunes femmes demande pourquoi Orphée s’est retourné, et l’autre de répondre que peut-être, c’est Eurydice qui le lui a demandé. Sans doute, pour rester là où elle est, et ne pas retourner dans le monde des vivants. Hypothèse plausible pour la mythologie. Et d’expliquer que quelques jours plus tard, après l’avoir visionné, elle a découvert ce texte d’Elfriede Jelinek et a littéralement plongé dedans, pour un magnifique résultat sur un plateau de théâtre.
Lucie Leclerc et Romain Dutheil – Photo B.T.
Formidable performance de Virgile-Lucie Leclerc, seule en scène durant une heure trente, et qui nous transmet le texte de l’autrice avec une émotion vive, palpable. Le public de la salle Vitez, quasi comble avec une grande majorité de jeunes (cela fait infiniment plaisir) ne s’y trompe pas en l’applaudissant chaleureusement, ainsi que Romain Dutheil. Félicitations aussi pour la magnifique scénographie de Louise Sari (qui a assuré celle « d’Aria da Capo ») et le texte de la chanson finale de Mathilde Forget. Un spectacle co-produit par le CDN d’Orléans, ça sert aussi à cela, un CDN.
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