Dans le film de Frédéric Sojcher, Le cours de la vie, Agnès Jaoui devient Noémie, prof de scénario. Elle renoue avec son passé, comme dans toutes bonnes histoires portraiturant des personnages. Film sur les gens de cinéma et leurs techniques narratives, il touche par la qualité des acteurs et mène au bout un scénario très mince sans lasser.
Par Bernard Cassat
Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï. Tabotabo-films-et-Sombrero-films
Alain Lavrac a écrit un essai que Frédéric Sojcher, son ami d’études cinématographiques, a publié. Et il a voulu l’adapter en film. Tous les deux se sont donc attaqués à scénariser cette réflexion sur le scénario. Pour soutenir ce projet, qui de mieux qu’Agnès Jaoui, actrice, réalisatrice et grande scénariste ? Suffisamment armée pour rendre crédible et accrocheuse cette journée de master class qu’elle va donner dans une école de cinéma de Toulouse.
L’apparence d’un documentaire
Le film est un documentaire sur cette journée. Agnès arrive dans l’école, rencontre les étudiants et leur parle. C’est l’ossature, avec un dispositif cinématographique simple expliqué par l’assistante du directeur de l’école. Trois caméras, l’une sur Agnès, une autre sur le public et une troisième plus libre. Ce sont ces images, en format réduit dans les images du film, qui vont rendre compte de la master class. Avec parfois des retours en format scope, qui tentent de saisir les rapports, les regards, les relations, les émotions.
La master class donnée par le professeur Noémie. Photo Tabotabo-films-et-Sombrero-films
La leçon du professeur Jaoui est assez simple, et rappelle évidemment ses propres écritures de scénario. Observer les gens et soi-même. Comme dans Le goût des autres. Cette quotidienneté omniprésente dans son œuvre, qu’elle sait rendre captivante en la scrutant au plus profond. Elle propose aux étudiants une méthode de base, regarder une situation dans la rue, par exemple, et se demander « et si… ». Et puis suivre les chemins qui se dessinent.
Mais en fait, Agnès, Noémie dans le film puisqu’elle est un personnage du scénario, n’est pas là par hasard. Le directeur de l’école qui l’a invitée est son ancien amant. Eux aussi ont été élèves de ciné ensemble et ont vécu une histoire d’amour très forte, brisée net par Noémie pour une raison qu’elle va révéler. Qui apporte une énorme émotion, bien que cette partie de l’histoire ne soit pas le meilleur du scénario.
Un film à dispositif verbal
C’est un film de toutes les évidences, qui ne sont pas forcément des clichés. Il entrelace faux docu, technique de scénario, passé des personnages et réalité des acteurs. Les étudiants testent dans la réalité les possibilités de leur projet, s’engueulent, se déchirent pour vérifier leurs scénarios. Qui tous tournent autour de l’amour, physique et sentimental, même quand leurs personnages sont des globules. Film de paroles aussi.
« J’adore les films de dispositifs verbaux, comme chez Rohmer, Mouret ou Eustache dans Une sale histoire, cette sorte de cinématographie de la parole », a déclaré Frédéric Sojcher aux journalistes d’Allociné. Donc film d’acteurs, celui qui parle captant toute l’attention.
Et Agnès Jaoui est parfaite dans ce rôle, naturelle, humoristique, profonde, vraie. Avec le faux discret Jonathan Zaccaï, ils forment un couple très crédible. Jonathan comme souvent se joue de lui-même, laisse constamment affleurer un malaise profond, des maladresses assumées qu’il retourne en points forts. Tous deux crèvent l’écran. Et le staff des étudiants, particulièrement bien casté, montre un panel de jeunes que Sojcher connaît bien, puisqu’il enseigne le scénario à l’Université. Et puis quelques trouvailles ciné, comme les extraits de films que passe Noémie aux élèves, qu’on ne voit pas mais qu’on entend, pendant que la caméra scrute les visages qui regardent, tente d’en saisir toutes les émotions. Et la musique de Cosma, complice du réalisateur, accompagne les moments importants.
Film rigoureux sur le cinéma, Le cours de la vie reste dans ce petit milieu, mais il capte l’attention. Ce jeu d’images, jeu de l’imaginaire, jeu d’histoires qui font l’essence du cinéma sont menés par des maîtres en la matière. Sur un scénario inexistant qui raconte l’importance du scénario, c’est assez fort. Et très plaisant.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : “Temps mort” : comment renaître à la vie, après ?