Chahdortt Djavann, autrice franco-iranienne était l’invitée officielle des 594èmes fêtes johanniques d’Orléans ce 8 mai 2023. Après la cinéaste ukrainienne Masha Kondakova l’an passé, le maire d’Orléans a donc choisi cette année encore une femme qui se bat pour le droit des femmes de son pays et d’ailleurs. Morceaux choisis d’un discours émouvant, personnel et percutant.
Par Sophie Deschamps
Pour la seconde année consécutive, le maire d’Orléans a donc choisi une femme comme invitée officielle des fêtes johanniques. On se souvient en effet des mots percutants de Masha Kondakova, cinéaste ukrainienne invitée l’an passé, moins de trois mois après l’invasion brutale par la Russie de son pays, où la guerre, hélas, perdure.
Aussi, pour rendre hommage au courage des Iraniennes depuis l’assassinat insupportable de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, Serge Grouard a convié cette année l’écrivaine et essayiste franco-iranienne Chahdortt Djavann, exilée en France depuis 1993. Vêtue d’un pull rouge (couleur commune aux drapeaux français, iranien et orléanais), elle a prononcé, dans un français impeccable, un discours vibrant fait d’aller et retour entre la figure de Jeanne d’Arc, qu’elle admire, et son propre parcours.
« Le plus courageux des hommes était une femme »
Ainsi à propos de la pucelle d’Orléans, elle indique : « J’étais fascinée par la France et par Jeanne d’Arc, dont j’avais appris l’histoire à l’école. (…) Le récit de Jeanne d’Arc nous enseigne que le plus courageux, le plus épique, le plus téméraire, le plus loyal, le plus légendaire, le plus mythique des hommes était une femme. Une très jeune femme. À elle seule,(…) elle a su insuffler la foi et l’espoir au roi, à l’armée puis à toute la France.(…) Elle, une simple fille va faire l’Histoire de la France. Elle va laisser de sa très courte vie une trace éternelle dans l’histoire de l’humanité tout entière. »
Faisant un parallèle évident avec la situation actuelle de son pays, Chahdortt Djavann assène : « La fin tragique de Jeanne d’Arc nous apprend ô combien que le monde est injuste. Que face à l’intelligence, à la droiture, au courage, au sens du sacrifice, à l’héroïsme, hélas, la traîtrise, la fourberie, la manipulation, le charlatanisme le plus vil et les arrivismes peuvent gagner. »
Ses propos se font ensuite plus personnels : « J’ai vécu une révolution islamique à 11 ans. Ce que j’ai appelé dans mes livres, un désastre historique. J’ai connu huit ans de guerre entre l’Iran et l’Irak. Une guerre comparable à celle de 14-18. J’ai vu l’islamisme ruiner mon pays natal. »
Mais tout de suite après elle précise : « J’ai retrouvé l’islamisme en France, partout en Europe et dans le monde. Lorsqu’en 2003, 2007, 2017, 2021, dans mes livres, j’écrivais que c’était le régime islamique de l’Iran qui était à l’origine de l’islamisme dans le monde, on me disait que j’étais radicale. Moi qui n’ai pris en main que la plume, j’étais radicale. Mais ceux qui répandaient l’islamisme, le terrorisme, qui assassinaient en Iran et partout en Europe, ceux qui exécutaient, torturaient, étaient des modérés ou réformateurs. » Puis elle enfonce le clou : « Aujourd’hui, ceux qui doutaient encore, par intérêt, ont compris que c’est un régime qui torture les adolescentes de son propre pays jusqu’à la mort, les gaze dans les écoles. Mais aussi qu’il est l’ennemi juré des démocraties occidentales et aide Poutine dans sa guerre en Ukraine. »
« Les jeunes défient à mains nues les balles de Kalachnikov »
Elle salue le courage des jeunes de son pays : « Les plus héroïques, filles et garçons, à mains nues, ont défié les balles de Kalachnikovs. Des dizaines de milliers subissent les pires tortures dans des cellules sordides. »
Puis, Chahdortt Djavann met en garde l’Occident : « Négocier ou commercer avec ce régime, c’est encourager la barbarie. Ce que l’éthique dicte aujourd’hui à la France et à l’Europe, l’intérêt le commande. Car l’Iran, avec ses richesses naturelles, ses 85 millions d’habitants, peut faire la différence dans la géopolitique mondiale, y compris dans la guerre avec la Russie ». Car elle tient à rappeler que « bien avant la France, c’est l’Iran antique, préislamique qui était le pays de la déclaration des droits de l’homme. Je rêve du jour où l’Iran, démocratique, sera le plus grand allié de la France. »
Enfin, jetant un dernier regard sur sa vie, elle avoue : « J’ai fait toute ma scolarité en Iran mais c’est la France qui m’a faite. Vous l’avez compris, je resterai toujours fidèle à mon pays natal mais aussi à la France. La femme libre et l’écrivaine que je suis devenue doivent tout à la France et à la langue française. » Et Chahdortt Djavann conclut par cette phrase, magnifique : « J’espère une grande amitié entre l’Iran, libre, et la France. Les deux pays pour lesquels je suis prête à sacrifier ma vie. »
Dans son allocution, Serge Grouard avait d’ailleurs eu ces paroles, fortes elles aussi : « Le temps des ruptures est venu. Et entre la résistance et la soumission, il n’y a pas de troisième voie. » On pourrait donc s’attendre logiquement à ce que l’invité.e de l’an prochain soit une Afghane, car on peut supposer hélas que les femmes y seront toujours encagées.
Photo de Une : l’écrivaine franco-iranienne Chahdortt Djavann, invitée officielle des fêtes johanniques 2023. Photo Magcentre
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