“Temps mort” : comment renaître à la vie, après ?

Première fiction d’une documentariste, Temps mort nous fait suivre trois permissionnaires, trois prisonniers très différents confrontés à une autre violence, celle de l’extérieur qu’ils ne savent plus apprivoiser. Terrible constat, une porte de prison peut aussi enfermer en s’ouvrant.

Par Bernard Cassat

Colin (Jarod Cousyns) et son petit frère. Photo Pyramide Distribution


Eve Duchemin est une documentariste belge. Elle s’est intéressée à une prison d’hommes dont sa directrice a bien voulu lui ouvrir les portes. Mais très vite, elle a ressenti le besoin d’une fiction autour de ce monde carcéral, qui lui permettrait de fouiller des caractères. Elle ne se sentait pas assez légitime pour le faire dans la réalité. Le projet s’est donc élaboré sur une longue période, la réalisatrice découvrant les équipes lourdes et les plateaux de tournage.

Temps mort raconte en alternance le week-end de permission de trois détenus. Trois portraits d’hommes très différents. On ne saura pas ce qui les a conduits en prison, juste qu’il s’agit de peines assez lourdes. Le film entremêle ces trois histoires, sort ces trois personnages du monde « protégé » de la prison (sans pour autant le décrire plus que nécessaire) pour les suivre dans la réalité du monde de l’extérieur, les confronter aux réactions des familles et les replacer face à leurs vies brisées. Tout trois cassés par la privation de liberté, ils réagissent différemment, même si, on le sent très vite, cette confrontation va tourner au désastre.

Anthony (Karim Leklou). Photo Pyramide Distribution


Il y a Colin (Jarod Cousyns), le dealer de banlieue. Totalement perdu face à une famille hostile, il repart dans son ancien milieu où il n’a plus de place. Il aura juste le temps de renouer avec sa mère, mais tout reste à faire. Ce personnage, en apparence le moins fouillé des trois, va tout de même bien au-delà du cliché. Son grand isolement, sa jeunesse et son incapacité à s’imposer une rigueur nécessaire le mènent à des conflits affectifs majeurs. Que sans doute, avec l’aide des autres, il parviendra à surmonter.

Anthony (Karim Leklou), plus âgé que Colin, a toujours sa place dans sa famille très modeste qui l’accueille pour sa permission. Mais Anthony est brisé. Il retrouve son fils qui ne le connaît pas, tente de se rapprocher de lui en l’emmenant à la fête foraine, qui va tourner au fiasco total. Son addiction aux médicaments va cristalliser l’échec total d’une réconciliation pourtant souhaitée.

Hamoussin (Issaka Sawadogo), en prison depuis vingt ans, va bientôt sortir. Il teste pendant ce week-end un poste de concierge d’immeuble, travail qui sera déterminant pour sa sortie véritable. Il se montre à la hauteur de ce travail que les services sociaux lui ont déniché. Peu causant, il intériorise et n’arrive à évacuer que par l’exercice physique, les pompes et les abdos. Le plus touchant des trois, ce personnage enfermé en lui-même reste d’une lucidité étonnante. Sa fille qu’il n’a jamais vue le replonge dans sa solitude après des efforts immenses pour s’ouvrir. Une dernière image va sceller son destin.

Hamoussin (Issaka Sawadogo). Photo Pyramide Distribution


De facture très classique sur un thème très noir, un constat d’échec social terrible, ce film tient surtout par le choix des personnages. Les trois caractères sont touchants de différentes manières, et l’approche visuelle, statique pour Hamoussin, virevoltante pour Colin, lourde pour Anthony, assez réussie. La caméra colle aux visages, des gros plans captent la moindre expression de ces trois acteurs remarquables, qui donnent une présence subtile à leurs personnages. Karim Leklou, une fois de plus au regard halluciné, lunaire, transmet un malaise intense derrière une façade joviale. Il explose totalement dans une crise de manque, son visage, son corps devenant d’une violence sans limite. Issaka Sawadogo en revanche, personnage oblige, laisse juste transparaître sur son visage la complexité de son monde intérieur. Son regard parle plus que sa langue, et laisse percevoir toute l’histoire complexe d’un homme noir dans un monde blanc qui ne lui fait pas de cadeaux.

Le discours de fond n’est pas nouveau, la patte cinématographique non plus, mais le film d’une grande rigueur fait partager intensément ces trois destins et donne du grain à moudre à toutes les questions autour de l’incarcération, du rôle de la prison et de la réinsertion des condamnés détruits par leurs longues peines.

 

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