Alors que l’échec de la réforme « par en haut » menace le second quinquennat d’Emmanuel Macron d’obsolescence prématurée, les mobilisations et défilés du Premier Mai invitent à s’interroger sur le rôle des corps intermédiaires en démocratie, au moment où la démocratie représentative, limitée à de trop ponctuels rendez-vous électoraux, est contestée.
Par Pierre Allorant
Manifestation 1er Mai à Orléans photo GP
Premier Mai, porte-voix international des revendications syndicales
Depuis le 19e siècle, d’abord aux États-Unis, puis dans l’Europe industrialisée, les manifestations, grèves et défilés du Premier Mai ont marqué le moment des négociations salariales collectives, et offert un vecteur à la diffusion des revendications des syndicats. Ainsi en France, la CGT a su dès avant 1914 populariser son slogan des « Trois-Huit » –
8 h de travail, 8 h de repos, 8 h de loisir » – profondément émancipateur par l’insistance sur la formation, l’éducation, l’accès aux joies partagées du sport et de la culture », idéal repris à la Libération par les « jours heureux » du Conseil National de la Résistance.
La traversée du désert des « corps intermédiaires »
Toutefois, les idéaux révolutionnaires de 1789 ont longtemps laissé peu de place aux « corps intermédiaires », jugés a priori illégitimes à interférer entre le peuple souverain et ses représentants élus, parlementaires ou « hommes providentiels », des Bonaparte à De Gaulle. L’interdiction des corporations et de tout privilège, y compris territorial, visait à assurer l’égale application de la loi, expression de la volonté générale.
Cependant, les progrès de la décentralisation et des grandes libertés républicaines – pensée, culte, expression, presse, grève, réunion, association – ont ouvert l’espace, dès la Troisième République, au formidable déploiement des associations à la faveur de la loi de 1901. Mais la reconnaissance institutionnelle de la vitalité démocratique de la société civile organisée a attendu le 20e siècle, parallèlement à l’émergence du fait régional, parachevés en 1972 par les conseils économiques et sociaux puis environnementaux qui viennent de fêter leur demi-siècle.
L’heureuse surprise de la résurrection syndicale
Jusqu’à il y a quelques mois, faible taux de syndicalisation et division des organisations obligent, on pouvait penser que la demande de dialogue et de participation ne susciterait pas nécessairement un sursaut des organisations de salariés et d’employeurs, marginalisées et dangereusement court-circuitées lors du mouvement
des « Gilets jaunes ».
Or, effet inattendu de l’obstination malvenue du gouvernement à se prétendre expert omniscient face au peuple réduit à une « foule » aveugle et ignorante de ses propres intérêts, l’impressionnante maturité d’un front syndical, aussi uni que responsable, a redoré le blason du syndicalisme français.
Certes, l’hirondelle d’un sursaut d’adhésion ne suffira pas à faire le printemps syndical.
Mais les prochains gouvernements devront retrouver suffisamment de lucidité pour saisir la chance de disposer d’interlocuteurs fiables et disposés au dialogue.
Tant si la monarchie reposait sur « les deux corps du roi » – le physique et l’intemporel souverain – notre République démocratique, sociale, laïque, environnementale et décentralisée ne peut plus tenir sur le seul pied fragilisé de la légitimité élective, certes fondamentale.
Elle gagnerait beaucoup à marcher sur deux pieds, en s’appuyant sur le dialogue social et sur la médiation d’une société civile apte à recueillir les pétitions citoyennes, à organiser les grands débats sociétaux, à évaluer les politiques publiques et à mener des études prospectives, bien mieux que les dispendieux cabinets conseils qui viennent occuper le vide laissé par la grande misère de la fonction publique d’État.
En 1935, présentant son rapport général au congrès du Parti radical réuni à Clermont, Jean Zay en appelle à une République sociale, une démocratie économique articulant l’Etat, qui conserverait la décision politique, et un Conseil national économique issu de conseils consultatifs professionnels organisés par régions, « image fidèle du pays », chargé d’éclairer le travail parlementaire. Demain, la conciliation de la démocratie représentative et de l’écoute des corps intermédiaires ? Oh, le joli mois de mai…
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