Après la Bérézina de la campagne des retraites, engluée dans le long hiver du mépris des acteurs sociaux, Emmanuel Macron annonce curieusement les « Cent-Jours » du nouveau « Cap clair », oubliant sans doute que le retour de Napoléon se termine sur Waterloo et la chute définitive de son régime.
Par Pierre Allorant
Un « Cap clair » de bonne espérance pour surmonter « les raisins de la colère » ?
Peu friand de tout mea culpa, le Président qui ne voulait pas finir en « roi fainéant » modèle Chirac 2, a usé de l’anaphore, « cela ne pouvait pas être… » pour justifier, en négatif, sa réforme si mal comprise, « non acceptée ». Tel le Bartleby de Melville, Macron « préfère ne pas » reconnaître ses erreurs et reprendre, bien tardivement, l’argumentaire conjugué du « produire plus pour investir dans l’avenir », et de l’effort compensé par des mesures de justice, soit exactement ce qu’Élisabeth Borne et Olivier Véran ont entonné en vain depuis des mois.
Recherchant, dans la forme, des images concrètes – les prix qui montent du plein, du pain, de la cantine – Macron veut montrer aux Français qu’il n’est « pas sourd » à la colère, à la peur du déclassement des classes moyennes, celles qui l’ont élu et s’en éloignent aujourd’hui. Sans retomber dans ses habituelles provocations sur les aides qui coûtent « un pognon de dingue », il évoque toutefois l’absence d’aides et de services publics efficaces, le sentiment d’abandon des quartiers et des campagnes qui minent la confiance dans l’État-Providence.
Les trois chantiers du grand projet pour « retrouver l’élan »
Assez confus ou elliptique sur les périls à conjurer pour sauvegarder l’indépendance nationale, de « la spéculation », cible peu habituelle de l’ancien banquier, aux « puissances étrangères » non désignées, le Président d’une ambition « si française » trace les trois chantiers prioritaires qui ont, du moins, le mérite d’en revenir enfin, mais un peu tard, aux vraies priorités de l’opinion, inquiète de l’inflation et de l’avenir obstrué des nouvelles générations : le sens du travail et le partage des richesses – mais comment nouer ce « nouveau pacte de la vie au travail », le renforcement de la Justice et de « l’ordre républicain » et le « progrès pour mieux vivre » par les services publics rénovés de l’éducation et la santé.
Le retour du « progrès pour mieux vivre » et la redécouverte des corps intermédiaires
À bien écouter Emmanuel Macron, on se demande bien pourquoi il n’a pas résolument concentré les actions de sa première année de second mandat sur le partage des fruits du travail, l’amélioration des services publics et la démocratie. Plutôt que de se crisper sur une réforme injuste et non urgente et de donner les clés de l’Etat de droit à un ministre de l’Intérieur plus hostile à la Ligue des droits de l’Homme qu’aux bavures policières.
Le Président, comme au lendemain de la crise des « Gilets jaunes », semble redécouvrir bien tardivement les mérites de la concertation parlementaire avec les trois présidents d’assemblées, y compris la chambre consultative de la Société civile organisée, le CESE, l’intérêt de s’appuyer sur la concertation avec les corps intermédiaires, et le fait que la République a toujours été sauvée des crises par son socle démocratique : les maires.
Ces coalitions, ces alliances nouvelles que Macron appelle de ses vœux d’ici au 14 juillet sont-elles une forme d’ultimatum, de compte à rebours et de mission impossible pour sa Première Ministre ? « Moins de lois, moins de bureaucratie » ? L’ancien rapporteur adjoint de la commission Attali ne serait-il pas à nouveau en train de nous faire le sacrifice démagogique, après celui de l’Énarchie, du totem du parlementarisme, déjà affaibli par la décision très accommodante pour l’exécutif du Conseil Constitutionnel ?
La métaphore de la reconstruction réussie en un temps contraint, contre toute attente, de la cathédrale de Notre-Dame, renverrait alors, davantage qu’à l’image du bâtisseur imperturbable d’une « Nouvelle société », à celle du pompier social et politique pyromane.
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