Antoine de Baecque, délégué général du festival, nous a confié ses impressions sur Récidive 68 et ses projets pour 2024. Michel Ferry a confirmé de son côté la dynamique qui semble s’être installée autour de Récidive.
Propos recueillis par Bernard Cassat
Ten, d’Abbas Kiarostami, projeté lors de la remise du prix Jean Zay à Marin Karmitz. Photo MK Diffusion
Magcentre : Quels ont été vos temps forts ?
Antoine de Baecque : Les soirées où il y a eu le plus de monde, l’ouverture et la remise du Grand Prix Jean Zay. Des moments qui ponctuent la semaine et le festival, où les gens se regroupent. Et c’est bien de retrouver du monde dans les salles. Des moments dynamiques, une ferveur, une communion qu’on n’avait pas connus dans les éditions précédentes, parce qu’on était dans un moment compliqué à cause du confinement. C’est le retour au cinéma !
Au niveau des films importants ?
Je suis très heureux d’avoir montré l’intégrale des films de Marin Karmitz. C’étaient des jolies salles, Marin était là pour les présenter. Films peu connus. On connaît sa stature comme un grand du cinéma français, mais plutôt comme directeur de salle et producteur. Et là on a découvert le cinéaste, à l’œuvre importante, engagée, un cinéaste qui n’hésite pas à faire des expériences notamment dans ses courts métrages des années 60, qui n’hésite pas à mener sa caméra vers les usines dans un moment de lutte. C’était important. On a découvert une facette du portait, et on ne peut pas comprendre Marin Karmitz sans voir ses films. Coup pour coup, par exemple. Les luttes des femmes, il fallait être là. Et Marin y était.
Affiche de Coup pour coup de Marin Karmitz
Après, ce qui était très émouvant aussi, c’est l’irruption de l’actualité. On ne pouvait évidemment pas prévoir cela, mais on a été assez verni quand on a choisi 68, de se trouver dans un moment de fortes résonances. Qui sans doute fait partie d’un grand phantasme, mais justement, le cinéma, c’est aussi cela. Je crois que si aujourd’hui, la jeunesse qui défile, qui proteste, se nourrit de cet imaginaire, c’est beaucoup par le cinéma. Je retiens deux choses de ce côté-là : un très beau moment, jeudi 23. On montrait les ciné-tracts, des films de 68 muets, et la bande son, c’était la manifestation dehors, sur la place du Martroi. Il y avait comme un jeu de regards, des renvois de sons et d’images sur presque 65 ans. Beaucoup de choses ont changé, mais le cinéma fait toujours lien. L’autre chose : on parlait du cinéma de 68 et on parlait d’aujourd’hui avec certains des “débattants” comme Leslie Kaplan ou Karol Beffa, et tout d’un coup est arrivé un des slogans écrit sur les murs de Paris il y a quelques jours « tu nous mets 64, on te remet 68 ». On a pu le voir affiché sur les écrans, un jeu d’allers et retours, un petit kairos, la programmation prenait un tour qu’on n’attendait pas et qui s’imposait par l’actualité. Ça colore de façon très nette ce festival.
Et puis le fait aussi d’avoir un certain nombre de témoins de ces années-là. Une sorte de pont sur les 55 ans passés. On n’est plus dans la même société. Mais le cinéma a cette capacité de faire lien par l’imaginaire. Quand on voit le film d’Agnès Varda sur les Black Panthers, on est obligé de penser certaines choses. De plus, une partie du public avait vécu 68, donc elle revivait…
Image de Black Panthers, un court métrage d’Agnès Varda
C’est aussi pour ça qu’on a choisi l’année 89 pour le prochain festival. Le jeu sera encore plus fort. Une bonne partie du public en aura des souvenirs. Au niveau cinéma, il y a en 1989 plusieurs générations. Un monde sans pitié de Rochant, par exemple. Il lance une nouvelle génération autour de Desplechin, Hippolyte Girardot. On sera aussi beaucoup sur les changements internationaux avec la chute du mur, la fin du monde socialiste. Et puis quelque chose d’important, il faudra prendre des films qui ont l’ambition de raconter l’histoire. Dans le cinéma américain, il y a tout un pan qui regarde vers l’histoire. Soit sur le versant films d’action, comme Abyss, de James Cameron. Soit sur le versant divertissement, les Aventuriers de l’arche perdue ou Jurassic Park. C’est aussi la fin des blockbusters, qu’on n’a eu que très peu au festival. On regardera aussi du côté du cinéma allemand, des films qui racontent 89, comme Good bye Lenin !
Et puis l’invitée sera Margarethe von Trotta, intéressée par cette année-là. On voulait l’inviter cette année, mais elle est en tournage. Donc on a pris date pour l’an prochain avec le nouveau film. Et tous les autres. Des années 70 à après la chute du mur, elle a regardé cette période de manière précise et rigoureuse, sans concession. Un cinéma important.
Michel Ferry, exploitant des Carmes et président du festival, confirme la dynamique de ce Récidive 68. « La fréquentation a augmenté de 50%, avec trois grosses séances. Les tables rondes ont été bien fréquentées. » Il se réjouit donc du prochain Récidive 89. Rendez-vous est pris pour mars 2024.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Récidive 68 : Le Grabuge de Luntz raconté par Michel Ferry