La majorité suffisante, dimanche 5 février 1933
La majorité obtenue vendredi soir par le cabinet Daladier est plus faible que celle des Gouvernements précédents ; par contre, l’opposition a cristallisé un nombre de voix plus élevé.
Le 7 juin, M. Herriot avait obtenu 384 voix ; le 22 décembre, M. Paul-Boncour 379 ; et hier, M. Daladier, seulement 370.
Le 7 juin, la Droite groupait 115 voix ; le 22 décembre, 166 ; et hier, 200.
C’est là un phénomène parfaitement normal et dont, seuls, les naïfs pourraient s’étonner.
Il signifie que les amis de MM. Tardieu et Flandin ont définitivement renoncé à une méthode d’enveloppement et de séduction, qu’ils tentaient depuis huit mois. Au chant des sirènes succède l’hostilité brutale. Ces messieurs vont pratiquer leur jeu normal d’opposition. Rien de plus légitime. Espérons simplement que radicaux et socialistes se décideront à pratiquer leur jeu normal de majorité.
L’exemple le plus frappant est celui des démocrates populaires.
Ils s’étaient abstenus lors de la présentation des gouvernements Herriot et Paul-Boncour. Plus exactement – car la discipline n’est pas très en honneur chez eux – un seul d’entre eux, M. Lerolle, avait voté contre.
C’était un précurseur.
Car, vendredi, tout le groupe PDP s’est prononcé contre le cabinet Daladier.
M. Champetier de Ribes a tenté une explication embarrassée de ce changement d’attitude : « Nous n’avons pas à nous exclure, a-t-il dit, on nous a exclus ».
Comme le président du Conseil s’était contenté de faire un appel à la « majorité républicaine », il faut bien en conclure que le parti Démocrate Populaire considère, de lui-même, qu’il ne peut pas en faire partie.
L’ancien ministre des Pensions de M. Tardieu a reçu, d’ailleurs, une sévère leçon de M. Édouard Herriot.
Celui-ci a rappelé qu’en juillet 1926, à une heure critique, cherchant à former un gouvernement de conciliation, il avait fait appel à lui. M. Champetier de Ribes refusa. Car il veut bien de la « conciliation » et de ce qu’il appelle la « concentration républicaine », mais à condition qu’elle soit dirigée et dominée par la Droite.
J’entendais, hier soir, à la tribune de la Chambre, le président Herriot, avec sa générosité habituelle et sa confiance presque candide, lancer un appel pathétique pour que la majorité groupée autour de Daladier fut « la plus large possible », dans l’intérêt du pays.
Il a vu la réponse des 200 opposants systématiques.
Autour du nouveau Gouvernement, il y a donc 370 députés, soit 160 radicaux, 130 socialistes et 80 républicains indépendants de bonne foi. C’est plus qu’il ne nous en faut pour faire œuvre utile, s’ils savent rester unis.
Jean ZAY
Député du Loiret