Initié par Frances MacDormand, le projet mené par Sarah Polley est une bien étrange réflexion sur les violences masculines. Qui se conclut par la séparation des sexes. Les discussions sont situées en 2012, mais pas un mot de ces femmes n’intéresse l’actualité pourtant riche du féminisme actuel. Quel intérêt alors de débattre pendant deux heures, sans aborder le vrai fond du problème?
Par Bernard Cassat
Frances McDormand, initiatrice du projet, est elle-même fille de pasteur.
Photo Orion Releasing LLC. All Rights Reserved.
Women Talking est d’abord un livre de Miriam Toews publié en 2018. Il raconte une communauté mennonite de Bolivie dans laquelle, de 2005 à 2009, les femmes et jeunes filles étaient droguées et violées sauvagement. Huit hommes ont finalement été condamnés par un tribunal bolivien. Comme leurs cousins spirituels les Amish, les Mennonites sont des pacifistes qui refusent la violence et les armes. Et le progrès, aussi.
Women Talking part donc de cette situation tout à fait particulière. Bien que situé en 2012, il emmène le spectateur dans une communauté aux mœurs du Moyen Age dont les membres sont analphabètes pour intenter le procès des violences masculines. Point de vue radicalement forcé.
Soumises à la religion
D’autant que la religiosité est constante. Une religiosité plus proche de la bigoterie que d’une croyance éclairée. Ces femmes qui parlent dans une grange, qui ont toutes subi les violences, sinon les viols, des hommes, entrecoupent leur dialogue par des chants au seigneur, des prières à Dieu, des cantiques qui les replacent, évidemment, dans une position de soumises. Pas de victimes. Soumises à Dieu, à l’homme, à la loi de la communauté. L’une d’elles arrive un matin tuméfiée des coups de son mari. Une prière chantée ensemble répare l’outrage.
Judith Ivey et Claire Foy. Photo
Michael Gibson 2022 Orion Releasing LLC.
Leurs réflexions ne sont argumentées que par le bon sens, faute d’éducation. Mais les esprits vifs cheminent (lentement) vers des évidences. Pour aboutir à l’inévitable séparation des sexes, donc à la fuite des femmes et des enfants de cette communauté. D’où cette longue file de chariots, comme s’ils recommençaient la conquête de l’ouest où, on le sait depuis plus d’un siècle, il n’y a plus rien à découvrir. Elles feraient mieux de laisser tomber Dieu et d’aller à l’école.
Une communauté archaïque qui refuse le monde
Si le propos n’est pas universel, s’il ne s’agit pas du procès des hommes en général, alors toutes ces discussions féminines ne sont que péroraisons dans une communauté archaïque de bigotes américaines dont on n’a que faire. Elles donnent raison à la réflexion d’Emmanuel Macron sur le refus du progrès des Amish. Mais si le propos se veut universel, alors pourquoi nous plonger dans cette communauté absolument pas représentative du monde actuel ? Quel intérêt ? Il y a bien quelques vagues filiations possibles avec la société américaine, tous ces ultradroitistes religieux qui veulent ramener le monde vers les ténèbres. Intellectuellement, on peut trouver des liens avec l’épisode Trump. Mais ils sont ténus, et les paroles de ces femmes dans leur grange et leur gangue religieuse n’apportent aucun éclairage sur ces questions. Car si la solution de tout ça est la séparation des sexes, bravo pour l’évolution des rapports humains !
Le cinéma n’est pas en cause. Belles images, cadrages somptueux, travail d’unité de costumes et de casting, montage rigoureux parfaitement en place. Les actrices, les jeunes comme les plus âgées, sont absolument convaincantes. La bande son de Hildur Guðnadóttir est remarquable d’équilibre entre country et originalité. L’équipe féminine a très bien travaillé.
Discussion dans la grange. Photo Orion Releasing LLC
Que le film ait gagné l’Oscar de l’adaptation d’un roman au ciné n’est pas choquant. Il est visuellement très réussi. Il y a cependant une sorte d’exploitation à outrance des justes revendications actuelles des femmes, mélangée au prêchi-prêcha dont les Américains nous inondent, qui sont plus qu’agaçants. Deux heures de paroles de femmes sur les violences masculines sont insupportables lorsque pas un mot n’évoque la dimension politique ou sociale. Et ne dit rien contre ce Dieu qui dirige leur secte. Qui « dirige » aussi l’Amérique, où il est constamment présent. Le droit divin a fait place depuis longtemps à la démocratie. L’optique de ce film est aussi rétrograde que la communauté mennonite décrite et les propos que tiennent ces femmes. On comprend mal l’enthousiasme d’une certaine critique…
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