Qu’apprend-on du 6e rapport du GIEC ? C’est ce à quoi répondra mardi 14 mars Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières). Co-auteur de ce 6e volet, il interviendra dans le cadre des conférences des « Mardis de la Science » au MOBE d’Orléans, sur l’impact et l’adaptation de nos sociétés au réchauffement climatique.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup
Magcentre. Ce mardi 14 mars, vous allez intervenir au MOBE sur le 6e rapport du GIEC. Quel a été votre rôle dans ce 6e volet ?
J’ai été l’un des 270 auteurs principaux du groupe 2, groupe dont le rapport portait sur les impacts, les vulnérabilités et l’adaptation du monde au changement climatique. J’ai notamment contribué aux chapitres sur l’Europe et la Méditerranée. J’ai aussi coordonné une section sur l’évolution du niveau de la mer. Il s’agit d’un travail qui vise à informer les gouvernements de manière neutre et transparente en évaluant les consensus scientifiques. Pour cela, nous étions appuyés par environ 700 autres auteurs-contributeurs et avons bénéficié de quatre revues du rapport par toute la communauté scientifique et par les gouvernements.
Magcentre. Quels sont les points clés de ce nouveau rapport ?
Un élément important : l’évaluation des solutions disponibles pour atteindre ou maintenir de bonnes conditions de vie, une activité sociale et économique satisfaisante, tout en limitant les pertes de biodiversité. Les solutions dépendent de chaque secteur. Par exemple, dans le cas de l’agriculture, le rapport montre tout l’intérêt de développer rapidement l’agroécologie et l’agroforesterie. Il s’agit d’un message fort qui montre à quel point le modèle agricole doit changer pour atteindre un modèle de développement résilient face au changement climatique. Et tous les pays doivent s’adapter même ceux qui n’ont pas contribué au réchauffement climatique comme les pays d’Afrique, en inventant un modèle de croissance qui ne soit pas soutenu par les énergies carbonées. Dans l’hémisphère nord, il faut reconcevoir les villes avec moins de transports carbonés, plus d’îlots de fraîcheur et de biodiversité, de la végétalisation… Là encore, on parle de transformations majeures, et qui ne sont pas encore bien comprises. Il est important de noter que le rapport du GIEC n’est pas là pour imposer quoi que ce soit, il fait un constat de ce qui fonctionne ou pas, évalue les solutions et les co-bénéfices. Ce sont les élus et responsables des secteurs publics et privés qui prennent des décisions.
Magcentre. À l’échelle de la région Centre-Val de Loire, quels sont les risques qui nous menacent et quels signes sont déjà visibles ?
Aujourd’hui nous savons que 100 % du changement climatique est dû aux activités humaines : nous émettons des gaz à effet de serre (GES) qui contribuent au réchauffement climatique, et des aérosols (pollution des véhicules, bois de chauffage…) qui limitent une partie du réchauffement mais qui sont un problème de santé public majeur. Avec ce réchauffement, de plus en plus d’impacts sont visibles. On se souvient des inondations dans le Loiret en 2016. Ces inondations ont deux fois plus de chance de se produire dans un climat réchauffé à 1,1 °C, celui de la décennie 2010-2020, que lors de la période préindustrielle au XIXe siècle. En France, les dommages assurés avaient représenté plus d’un milliard d’euros. Les dommages assurés des retraits gonflements d’argile représentaient un milliard après la sécheresse de 2003, et devraient se situer entre 2 et 3 milliards en 2022. Nous commençons donc à constater des conséquences tangibles du changement climatique.
Dans le Centre-Val de Loire, on peut constater que nous sommes exposés aux quatre risques clés du changement climatique en Europe : vagues de chaleur qui mettent notre santé et celles des écosystèmes en danger, pertes de productivité agricole pendant les sécheresses, pénuries d’eau pour les particuliers et les entreprises, et les inondations dues à des pluies intenses. Un climat qui se réchauffe de 1 degré, c’est 7 % de vapeur d’eau en plus dans l’atmosphère, ce qui favorise les précipitations extrêmes. Le changement climatique induit une sorte d’accélération du cycle de l’eau : l’évaporation est plus rapide, ce qui favorise les sécheresses, mais un climat plus chaud favorise aussi les pluies intenses, ce qui induit des inondations.
Magcentre. Quelles adaptations est-il urgent de mettre en place ?
Tout est urgent : transformation des villes, du modèle agricole, des secteurs du transport et de l’industrie… Dans le secteur de l’eau, un enjeu majeur serait de mettre en place des mesures de sobriété, visant à réduire la demande pour limiter les risques de pénuries. On voit bien aujourd’hui que les mesures visant à augmenter l’offre ont des limites et peuvent être très conflictuelles. Pour faire écho à un débat actuel en France, on peut lire dans le rapport du GIEC que les réservoirs en surface – les fameuses « bassines » – sont coûteux, ont des effets négatifs pour les écosystèmes et deviendront de moins en moins efficaces à mesure que le réchauffement s’accentue. La région Centre-Val de Loire est une région dans laquelle on sait que les risques de pénuries d’eau dues au changement climatique sont importants. Dans les villes de notre région, la priorité devrait porter sur leur végétalisation, rendre possibles les alternatives à la voiture et même considérer l’agriculture en ville. Mais les collectivités peuvent-elles financer ces adaptations ? L’institut I4CE nous dit qu’elles devraient multiplier par deux leurs investissements dans le secteur. Ces transformations sont majeures et le rapport insiste sur le fait qu’elles ne se réaliseront que si l’on porte une attention particulière à l’équité et à la justice des mesures d’adaptation. Soutenons-nous suffisamment les agriculteurs qui se convertissent vers l’agroécologie ou les particuliers qui se passent de voiture ? En réalité, on est aussi sur des enjeux de démocratie locale, sur laquelle la France est clairement en retard par rapport à d’autres pays européens. Je pense que tant que le débat public français sur les solutions restera aussi décalé par rapport aux consensus scientifiques, on ne se rendra même pas compte que l’on n’avance pas beaucoup.
Magcentre. Total Énergie a lancé un méga projet pétrolier en Ouganda au mépris des droits humains et de l’environnement selon les ONG. Vous êtes l’un des scientifiques signataires de la tribune qui dénonce l’instrumentalisation des rapports du GIEC par Total Énergie. Vous pouvez nous expliquer ?
Total Énergie a instrumentalisé les rapports du GIEC pour justifier son projet en prétendant que le GIEC n’interdisait pas de développer des champs de gaz et de pétrole, et que leur développement pouvait être même nécessaire. Il serait surprenant de trouver ce type de recommandation dans un rapport qui, précisément, ne fait aucune recommandation mais analyse les conséquences de décisions pour le climat, la société, l’économie et le vivant. Bien sûr le GIEC ne justifie en aucun cas les champs de pétrole et de gaz ! Les rapports montrent très clairement que plus on investira dans les énergies fossiles carbonées, y compris le gaz, plus on sera en difficulté. Ce seront des infrastructures qu’il faudra démanteler avant leur fin de vie si l’on veut réussir à contenir le changement climatique aux niveaux prévus par l’accord de Paris. Total Energies nous dit : « Oui, mais nous investissons aussi 5 milliards dans les renouvelables par an ». C’est très bien, mais ce qui nous préoccupe, ce sont les 7 à 10 milliards qu’elle investit toujours dans les fossiles. En réalité, avec ce projet pétrolier en Afrique de l’Est et ces investissements dans les fossiles, Total Énergie ne s’inscrit pas dans la transition écologique. Mais y croient-ils seulement ? Tout suggère que non, mais il faut bien reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls responsables : les retards français dans la transition, bien identifiés dans les rapports successifs du Haut Conseil pour le Climat, sont une source d’incertitude pour les investisseurs et les entreprises, qui se demandent finalement si on engage vraiment les transformations. Après 30 ans de rapports du GIEC alertant sur l’urgence et la gravité de la situation, il est tout de même désolant de constater que l’on en est réduit à dépenser des dizaines de milliards d’argent public dans un bouclier fiscal dont l’unique effet est d’atténuer les conséquences de nos retards sur la transition. Ce que nous dit le rapport du GIEC, c’est que nous sommes au pied du mur et qu’il est temps de nous emparer des solutions qui fonctionnent et de débattre collectivement de notre projet de société.
Conférence mardi 14 mars au MOBE à Orléans à 20h Changement climatique : qu’apprend-on du 6e rapport du GIEC ? Par Gonéri Le Cozannet, BRGM
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