En France, aucune femme journaliste n’est mentionnée dans les programmes de lettres de seconde, pourtant revus en 2019. Pour combler cet insupportable “oubli”, la docteure en littérature orléanaise Dominique Bréchemier a rédigé un livre Elles sont journalistes publié dans la collection Étonnants classiques lycée.
Par Sophie Deschamps
Couverture livre Elles sont journalistes, Flammarion de Dominique Bréchemier
En cette semaine du 8 mars 2023, journée internationale des droits des femmes, zoom sur Elles sont journalistes. L’ouvrage scolaire, mais il mérite un plus large public, signé Dominique Bréchemier, docteure en littérature et professeure de lettres au lycée Voltaire d’Orléans est né d’une colère. Celle de constater en parcourant « l’objet d’étude de seconde consacré à “la littérature d’idées et la presse du XIXe et XXe siècle“, qu’aucun nom de femme journaliste n’est mentionné ». L’indignation passée, elle rédige cette anthologie pour ramener en pleine lumière ces femmes “invisibilisées”.
Car des femmes journalistes de talent ont bel et bien existé dès le XIXe siècle. À commencer par notre grande écrivaine Colette (en couverture du livre). Avec des articles magnifiques écrits pendant la Première Guerre mondiale. Comme beaucoup d’autres, elle est alors infirmière à l’arrière du front : « D’hier soir jusqu’à cette heure, ils n’ont goûté que des miettes de repos, brisées, mesurées par la fièvre, la soif, l’élancement intolérable. Ils ont imploré tour à tour le verre de tisane, le grog, le lait chaud, la piqûre, surtout la piqûre… Les voilà, ces braves vaincus par la longue nuit. Misérables comme les voilà, s’éveilleront-ils ? »
Annie de Pène, première reporter de guerre
On croise aussi dans cette anthologie Annie de Pène, grande reporter de guerre qui a pu se rendre, fait exceptionnel pour une femme, dans les tranchées. En quelques mots, elle dépeint la sordide condition des hommes : « Un tout jeune soldat, un enfant presque, est affalé contre le mur de terre suintante ; il a une horrible plaie à la jambe, mais il parait que “ce n’est rien du tout” : un camarade, effrayant à voir avec sa peau noire, ses cheveux, sa barbe en broussaille et sa carrure de colosse, le panse précautionneusement, comme une femme. »
Dominique Bréchemier lui a d’ailleurs consacré un ouvrage intitulé Annie de Pène, une journaliste au cœur de la grande guerre (l’Harmattan, janvier 2018)
Des patronnes de presse féministes
Notre autrice n’oublie pas, bien sûr, la grande lutte des femmes pour obtenir le droit de vote. Elle évoque, entre autres, Olympes de Gouges, George Sand, Pauline Roland, Louise Michel, Hubertine Auclert, Louise Weiss et tant d’autres.
Des femmes qui très tôt ont su diriger des journaux et même en créer. Ainsi, Séverine, (1855-1929) première femme en France à gagner sa vie comme journaliste. Elle prend la direction du Cri du peuple à la mort de son compagnon Jules Vallès en 1885. Ou bien encore Marguerite Durand (1864-1936) qui après avoir dirigé plusieurs journaux crée La Fronde en 1897. Un quotidien entièrement dirigé et conçu par des femmes.
Karen Lajon, Florence Aubenas, Dorothée Olliéric…
Et puis, il y a bien sûr les reporters d’aujourd’hui si nombreuses que l’on ne peut toutes les citer. Dans son livre, Dominique Bréchemier publie un extrait du livre de Florence Aubenas Petite conférence sur le journalisme dans lequel elle indique : « Quand vous êtes journaliste, vous avez le droit de demander aux gens tout ce que vous voulez savoir, tout ce qui vous rend curieux. Cela donne l’impression d’une liberté incroyable, la sensation de traverser le monde avec des bottes de sept lieues. ». C’est aussi Dorothée Olliéric qui a couvert de nombreux conflits et encore récemment en 2022, en Ukraine. Elle vient d’ailleurs de publier La guerre au féminin chez Taillandier.
Enfin, comme l’indique à juste titre Dominique Bréchemier, tout est loin d’être rose aujourd’hui pour les femmes journalistes. Elles sont plus souvent pigistes que leurs confrères masculins. Elles subissent aussi des agressions sexistes et sexuelles au sein des rédactions. Ce sont par ailleurs elles qui en majorité traitent les questions liées au féminisme. Et qui portent les revendications féministes à l’instar de la revue Sorcières créée et dirigée par Xavière Gauthier de 1975 à 1982. Du trimestriel papier La Déferlante créé en mars 2021. Ou bien encore l’association Prenons la Une qui traque les Unes et les propos sexistes de la presse.
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