Quand Orléans sentait le sucre…

La salle de l’Argonaute était comble ce jeudi pour un public venu découvrir ou redécouvrir une page marquante de l’histoire de la ville, lors d’une conférence intitulée “Le sucre et Orléans de Louis XIV à la Révolution”, conférence de Patrick Villiers organisée par l’AMAE (association pour la Mémoire et l’Animation de l’Est d’Orléans).

Par Gérard Poitou

Pains de sucre raffiné (musée de la Marine de Loire) cl GP

Patrick Villiers, ancien professeur d’histoire et auteur de nombreux ouvrages sur la marine et la batellerie, proposait aux auditeurs de se plonger dans une page particulièrement riche de l’histoire de la ville, quand Orléans fut la capitale du sucre au XVIIIe siècle. Cette industrie nouvelle s’implante à Orléans à partir de 1640 avec l’arrivée dans la ville du Hollandais Vandeberghe qui importe le procédé de raffinage permettant d’obtenir un sucre blanc. En quelques décennies, les raffineries de sucre vont se multiplier dans la ville jusqu’à une quarantaine d’établissements qui feront la fortune de négociants diffusant leur produit à Paris et dans toute l’Europe devenue “accro” à ces pains de sucre. Et ce malgré les récriminations des habitants enfumés par cette industrie polluante…

De Nantes à Orléans

Par touches successives, Patrick Villiers explique avec limpidité la conjonction de conditions qui produisit ce boom économique. Et bien sûr en tant que spécialiste des bateaux, il y voit d’abord l’avantage qu’offre la Loire en tant que fleuve permettant la “remonte” de la canne à sucre débarquant à Nantes. La Seine avec ses méandres ne permet pas ce trafic alors assuré sur la Loire par des trains de bateaux, ces gabares à fond plat adaptées aux débits changeants de la Loire qui, à moindre coût, apportent la matière première jusqu’aux raffineries. La proximité des premières exploitations de charbon du massif central permet d’apporter l’énergie nécessaire au raffinage. Ce trafic qui passera de 2.000 tonnes en 1700 à 10.000 t. en 1780, va transformer le port d’Orléans où l’on voit apparaître sur les quais les bâtiments des négociants que l’on retrouve également rue Notre Dame de Recouvrance.

La traite négrière

Et bien sûr la canne à sucre arrive à Nantes par bateaux depuis la perle des Antilles, Saint-Domingue où elle est cultivée par une population d’esclaves importés d’Afrique par des bateaux négriers qui transportèrent 12 millions de prisonniers d’un bord à l’autre de l’Atlantique, bateaux négriers auxquels Patrick Villiers a également consacré un ouvrage. Et si seulement 30% des navires atlantiques pratiquaient le commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, le raffinage du sucre orléanais se trouvait bien en haut d’une pyramide économique dont la base était l’exploitation sans limite des 400.000 esclaves de la Perle des Antilles.

Vaisseau négrier (musée de la marine de Loire) cl GP

Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? — Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.”
Candide Voltaire 1759

Cette prospérité des négociants orléanais prit fin au XIXe siècle avec l’épopée napoléonienne qui, avec le blocus anglais et la perte de la flotte française à Trafalgar, ferma pour longtemps l’accès à Saint Domingue, devenue entre temps indépendante avec la révolte des esclaves de 1803.

Est-ce ce lien avec la traite négrière qui rend si souvent méconnue dans la mémoire des Orléanais, cette période du développement économique de la ville ? Mais cela est une autre histoire…

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Musée des Beaux Arts : le XVIIIe, le siècle d’or d’Orléans

Un pavé dans la Loire : la mémoire du commerce négrier


Références
Traite des noirs et navires négriers au XVIIIe siècle” Patrick Villiers
Une histoire de la Marine de Loire” Patrick Villiers

Raffinage du sucre Orléans Gravure de T.A. Desfriches

Commentaires

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  1. Juste un point d’histoire / Georges Vandebergue (et non pas Vandeberghe), qui installa à Orléans la première raffinerie de sucre, est né à Anvers. Qui n’a jamais été “hollandais”. Une erreur souvent recopiée depuis l’affirmation d'”historiens” d’il y a 20 ans. Il semble qu’il ait été un peu jeune pour installer la première raffinerie à Orléans en 1640, à l’âge de 7 ans si l’on en croit sa date de naissance.

    • Les raisons de cette implantation orléanaise restent effectivement à éclaircir…

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